tingayama

Le royaume perdu

La terre est de volcan

le voisin de poudre

moi de kapok

et ne m’accommode

ni de cette terre

ni de ce voisin

ni de moi.

Mon refuge est ma case

bâtie de rires

couverte d’irrévérences

et badigeonnée de blasphèmes.

Elle porte des ailes d’aigle ma case

et vit dans les airs.

Mon trône d’humour, muezzin des aubes nouvelles

a tracé ma route à l’enfer

mais la houle est lancée :

il suffit de rien

on périt de tout

l’immensité s’anéantit.

11.02.2015

13h47

 

 


Exécuteur

Je viens des dieux

Le mot franc et l’ordre infaillible

Il souffle dans leur cœur

Il gronde dans leur demeure

Des ires inassouvies

Ils disent et j’exécute.

J’expédierai par barils entiers

A ces seigneurs insatiables de la misère des peuples abrutis

Des peuples serpillières, peuples paillassons

Mon héritage de colère de récriminations et de jurons

Si mon servage les rend prospères et heureux

Ils sauront transformer

Mes ressentiments et transpirations

En carburant pour usines

En monnaies pour banques

En joyaux pour dulcinées

En plats à ajouter aux cartes des fastfoods et des restos.

Si la race des peuples piétinés

Fait fleurir le soleil dans leur vie

Mon cri sera nuages noirs dans leur ciel

Je reviens des dieux

Et j’obéis.

Assez, du repos des morts sans cesse dérangé !

Alors ils dormiront du sommeil

Des peuples hissés au mât

Des peuples visibles.

08.02.2015

8 h23

 

 


Les moulins des oreilles

Les moulins des oreilles

Font traverser stériles les mots

Miroirs ouverts sans reflets

Les rêves et les promesses :

La terreur fleurit de la foi

L’amour pourrit des méventes

La haine se nourrit des autels

L’autre barrière pétrit souffles et rêves

Crève !

L’horreur marque l’homme.

Egaré, le poète n’officie pas prophète

En un mot, il a bâti l’espoir

L’édifice s’est écroulé sous l’haleine de la brute

En un mot, il a révélé les rets des empires

Les rets ont servi d’appât

En un mot il a chanté l’amour des couleurs

Des théories ont cloisonné les races :

La vie n’est pas une marchandise vendue au poids des mots

Les oreilles emplies de bruits de moulins

La lyre lasse

Inefficaces

Les mots flapis

Transparents

Souffles de fantômes dans l’épaisse nuit de la désespérance

Le poète sommeille ; le précipice bée

La jachère devient un odieux cratère.

Kara le 03 janvier 2015

05h33

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Toi, je te tue !

Maison brûlée« Si je pouvais, je te tuerais. Tu me pourris la vie. Ça suffit ! Lâche-moi ! Je ne suis pas responsable de ta mort. Je ne t’ai pas tué. C’est ta mort qui t’a croqué. Et pourquoi me hantes-tu ? Pourquoi me persécutes-tu ? Comment je fais pour te tuer ?»

Il s’agit de mon frère jumeau. Moi c’est Kpatcha. Lui c’est Toï. C’est ainsi qu’on prénomme les jumeaux chez nous. Les jumelles, c’est Naka et Nêmê. D’autres groupes ethniques ont leurs prénoms. Je demeure curieux de savoir comment les peuls prénomment leurs jumeaux. Je sais que les Nawdas, des sorciers qui pilotent leurs avions les nuits, n’ont pas de prénoms pour les jumeaux.

En fait le prénom chez nous est chargé d’histoires : donc de soupires ; ou de promesses : donc de rêves. Un copain du quartier s’appelait « Magnou-Siba », littéralement, « Ma-tête-est-morte ». Plus sérieusement, « J’ai pas chance ». Et Ma-tête-est-morte était toujours malchanceux. Il était accusé de tout. Il recevait tous les coups destinés à d’autres garnements. Ma-tête-est-morte portait tout le désespoir de ses parents d’avoir été toute leur vie, malchanceux. Et Ma-tête-est-morte a hérité de toute la malchance de ses parents, cela va sans dire.

Nous sommes nés un dimanche. Du moins c’est ce qu’ont dit nos parents. Et puis la mort a fait un choix. C’est comme quand vous avez deux mangues. Vous les regardez. Vous choisissez d’en manger une d’abord puis l’autre ensuite. Alors, qu’est-ce qui guide votre choix ? Difficile à dire ? Je choisis souvent la moins grosse. Histoire de finir avec la plus grosse. Côté goût, je goûte aux deux. J’apprécie les yeux fermés la douceur. Et puis je croque la moins douce pour finir avec la plus sucrée. C’est comme ça la mort a fait avec nous : elle m’a rendu malade, pendant que lui Toï, courait, gambadait, se gavait de tout. Moi je grelottais de froid, je vomissais, je chiais des seaux. Et avant que ma maladie ne pousse des jurons et me laisse tranquille, Toï mourut. Une nuit. A 13 ans. Je conclus que la mort reviendra à moi lorsqu’elle aura fini de le digéré.

 

*******

*****

***

 

Des années sont passées. Mon école n’a pas fait la route. Jusque la classe de 5ème. Et j’ai appris la conduite. Au bout de cinq ans de brimades, de jurons, de torgnoles, de privations, d’insomnie, j’ai obtenu mon permis de conduire. Une joie. Une fête. Une sortie de prison : mon patron, un vieil ivrogne, goujat et puant n’aura plus ma tête pour cogner, mon visage où cracher.

J’ai obtenu un emploi dans un organisme non gouvernemental. Avec un salaire de 66 mille nets, je tais les 371 francs qui s’ajoutent, j’estimais que j’étais bien payé lorsque je vis celui du directeur, un lointain oncle à moi, avec seulement le BEPC comme diplôme : 347 000 nets. Je n’ai pas pu lire les 793 francs en plus. 347 000 cash ! Je conclus que j’étais lésé. Mais qu’y pouvais-je. Secrètement, je l’enviai. Je le jalousai. Je me révoltai à certaines occasions, conduisant mal ou traînant la patte à aller lorsqu’il m’appelait.

Je me mariai. J’eus trois enfants. Tout allait parfaitement bien lorsqu’un matin, au réveil, je ne pus pisser. J’avais mal, mais devant la lunette des waters, mon pénis refusa de cracher l’urine. Je buvais de l’eau comme du sable sec, mais ne pouvais pisser. Au bout de trois jours d’atroces douleurs, mes pieds s’enflèrent. On me transporta à l’hôpital, au CHR de Kara. Les soignants me placèrent une sonde. Je pus pisser pendant à peine une minute puis tout se bloqua. Les douleurs décuplèrent. Je criais, je gémissais, je me tordais, je me contorsionnais. Tous mes mouvements semblaient aiguiser ma douleur.

La nuit je réussis à fermer l’œil et qui vois-je dans mon sommeil ? Toï ! Il portait une barbe. Il pointa sur moi un doigt menaçant puis il brandit une assiette. Je la reconnus, cette assiette en terre cuite. Enfants, nos parents servaient nos repas dans une même assiette. A dix ans, papa et maman discutèrent un soir de ce service unique et le lendemain, on servit à chacun dans son plat. Lorsque la mort le préféra à moi, les parents gardèrent son assiette à notre autel sacrificiel, à l’entrée de la maison où deux fois par an et aux jours de fête, Noël et nouvel an, papa égorgeait deux poulets du même plumage. Depuis la mort de papa, plus personne ne s’occupe de cet autel.

Je me réveillai. Les douleurs aussi, plus cruelles. Mon cas échappait à la science des médecins. A la visite de 7 heures, je demandai au médecin de retirer la sonde. Il refusa : « si on t’enlève cette sonde, tu vas mourir », argumenta-t-il.

–         Elle ne me sert à rien en ce moment, insistai-je.

–         Monsieur, laissez-nous faire notre travail.

–         Vous me regardez mourir et vous parlez de vous laisser faire votre travail ?

J’insistai et ils finirent par retirer leur sonde. Je me fis conduire dans mon village à Kouméa. J’allai directement voir mon oncle maternel. Il me conduisit chez un charlatan. Ce dernier, me détailla du regard et conclut que le coupable était mon frère jumeau. Il se drapa de peau de bête, prit une queue de cheval et marmonnant des paroles incantatoires où j’entendais distinctement « Toï, je t’appelle ! Toï je t’appelle ! », il entra en transes. Mon oncle m’expliqua qu’il convoque mon frère jumeau.

Au bout de quelques minutes, un vent souffla, la porte de la case dans laquelle nous nous trouvions, s’ouvrit et une voix parla :

–         Pourquoi me dérangez-vous, je suis venu ?

–         Regarde ton ami, pourquoi veux-tu le tuer ?

–         Qu’il meurt, répondit avec une telle fureur, la voix. Qu’il meurt, il ne sera pas le premier. Il me sert à quoi ?

–         Que t’a-t-il fait, demanda le charlatan ?

–         Ce qu’il m’a fait ? Demandez-le-lui ! Je l’ai aidé à l’école. Je lui ai trouvé du travail, une femme, des enfants et il mange sans penser à moi. Et vous voulez que je le laisse vivre pourquoi ? Qu’il vienne ici et on va tous crever de faim.

–         Il tient ton pied ! Il ne savait pas. Libère-le et désormais il ne t’oubliera plus jamais.

Il y eut un long silence. Moi je pensais à tout ce qu’il dit avoir fait pour moi. Il m’a aidé à l’école ? Il ne faut pas rire ! Si j’avais obtenu le BEPC, j’aurais un gros salaire comme mon directeur. Si mon école était allé loin, je serais docteur plutôt que chauffeur à se faire crier dessus par une secrétaire pas du tout fichue d’être belle en plus d’être grosse et molle comme caca d’éléphant atteint de diarrhée.

Des raclements de gorge m’arrachèrent à cette sourde colère qui dilatait mes narines.

–         Je tire son oreille, qu’il se rappelle que je suis là. Enfermez un poussin sous une calebasse au milieu de la cour, creusez les racines d’un papayer portant des fruits, faites-les moudre avec du sésame et qu’il en mange pendant une semaine. Moi je veux un bouc noir et un coq rouge.

Un autre vent souffla, la porte s’ouvrit de nouveau et tout revint calme dans la case.

Rentrés à la maison, mon oncle et moi nous empressâmes d’enfermer un poussin sous une calebasse et lui courut creuser les racines de papayer portant de fruits. Je m’étendis sur une natte sous le grand manguier. Les douleurs avaient diminué. Le sommeil me vola la conscience. Au bout de combien de temps m’endormis-je ? Je me réveillai en sursaut avec une pressante envie de pisser. Je m’éloignai de la natte et l’urine qui jaillit était chaude, jaune et abondante. Au bout de cinq minutes, je dus me déplacer parce que l’urine refluait sous mes pieds. Je pissai ainsi plus d’une demi-heure changeant de place. Les dernières gouttes cendreuses ne m’alarmèrent guère du tout. Mon oncle me retrouva requinqué. Je pris les racines et rentra à Kara. Au bout d’une semaine, je retournai à Kouméa avec un vieux bouc noir et un coq rouge.

 

 

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Chaque année, je sacrifie à notre autel, un coq rouge et un bouc noir. Je n’eus plus d’ennuis de santé.

Il y a deux ans, subitement, alors je me trompais de femme dans une chambre d’hôtel avec une jeune étudiante, belle comme une image de publicité, je devins impuissant. Mon sexe entra dans la position que les femmes qualifient de 6 heures trente : la petite et la grande aiguilles sont arrêtées sur 6. A l’horloge virile, le pénis et les testicules pendent tristement sans que le premier n’ait de l’énergie suffisante pour hocher de la tête au moins à 6 heures 15 ou 45.

Je courus immédiatement au village auprès de mon oncle. Mon oncle me conduisit auprès du charlatan, lequel convoqua Toï, lequel m’accusa de ne pas m’occuper de lui. Je protestai que je faisais chaque année les sacrifices qu’il a exigés de moi.

–         Manges-tu une seule fois dans l’année ?

Mon garçon, dit souvent parlant d’un copain qu’il ne kiffe pas, « il est gonflé ». Il est gonflé le mort Toï.

–         J’ai faim, j’ai soif et lui il baise les étudiantes, ça veut dire quoi ?

« Jaloux en plus. Eh garçon, je ne t’ai pas tué », voulus-je m’écrier.

–         Qu’il pense à moi de temps en temps : je ne demande rien, au moins qu’il me fasse manger quatre fois l’an, c’est trop lui demander ?

–         Il a compris, intercéda le charlatan.

–         Qu’il aille bouillir les racines de kao, et qu’il boive.

Mon oncle et moi allâmes à travers champs chercher cet arbuste aux vertus magiques. Une fois à Kara je fis bouillir les racines et en but plus que de raison. Je relançai l’étudiante qui accepta et nous nous retrouvâmes dans le même hôtel. Cette nuit, elle s’enfuit oubliant son téléphone portable, son collier et m’abandonnant à un priapisme douloureux.

Cette année je sacrifiai chaque trimestre un coq et un bouc.

 

 

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L’an dernier, pour finir ma maison et y aménager, je pris un crédit à la banque. C’est vrai mon salaire a grandi au bout de vingt-cinq ans de service. Avec le crédit je n’ai pas pu donner à Toï depuis trois trimestres son coq et son bouc. Je sais qu’il est en colère.

Le vendredi dernier, je suis rentré au village expliquer mes difficultés d’argent à mon oncle et au charlatan. Nous convînmes de lui offrir un coq en guise de pardon. Le charlatan a égorgé le coq et l’a jeté au pied de l’autel. Le volatil mourut froidement, sur le ventre, sans bouger. D’ordinaire lorsque Toï approuvait le sacrifice, l’animal sautait, se débattait et retombait sur le dos, les pattes en l’air et mourait. Mais ce coq ne s’est même pas débattu contre la mort et il est mort sur le ventre.

Je commençai à avoir peur. Bloquerait-il mon urine ? Me paralyserait-il du pénis ? Ce soir j’avais rendez-vous avec une coiffeuse. Une fille de mon village. Célibataire à trente-huit ans, sans enfant. Elle vit chez elle. La maîtresse de rêve. Je repartis à Kara avec la promesse que je reviendrai la semaine suivante avec boucs et coqs, ça me coûtera ce que ça me coûtera : je vais m’endetter.

 

 

 

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Cette fois-ci, Toï est allé trop loin ! La fumée que j’aperçus de loin en rentrant ce lundi soir chez moi, ne me laissa même pas penser à un incendie. Je retrouvai pourtant tout le quartier noir de fumée éteignant les derniers morceaux de bois brûlant : ma maison, deux chambres-salon pour ma femme et moi, et une chambre-salon pour les enfants était partie en flamme. Je regarde cette désolation et je ne sais quoi faire ?

J’enfourche ma moto et me précipite à Kouméa alarmé. L’oncle alarmé court chez le charlatan. Le charlatan bougon convoque Toï qui tarde à arriver. Lorsqu’il arrive, avant qu’on ne lui pose une question, il attaque :

–         Je t’ai aidé à l’école, je trouvé du travail, je t’ai aidé à avoir un crédit à la banque et à construire ta maison où tu dors toi, ta femme et vos enfants et tu ne veux pas me donner à manger ? Ta maison a brûlé, je vais voir ce que tu vas faire maintenant, chien !

–         Charlatan, comment je fais pour le tuer ? Comment je fais ?

–         On ne tue pas les morts, dit calmement le charlatan, on discute avec eux, on négocie.

–         Négocier ? Je ne sais où je vais dormir cette nuit et je vais négocier ? S’il mange tous ses boucs et coqs, il reconstruit ma maison ?

Toï éclata de rire, un rire comme un grondement de tonnerre qui mourut diminuendo.

–         Il est parti. Il faut éviter d’énerver nos morts, ils sont rancuniers, conclut le charlatan.

Je fais quoi de ma maison brûlée ?

En rentrant à Kara, grommelant « Si je pouvais, je te tuerais. Tu me pourris la vie. Ça suffit ! Lâche-moi ! Je ne suis pas responsable de ta mort. Je ne t’ai pas tué. C’est ta mort qui t’a avalé. Et pourquoi me hantes-tu ? Pourquoi me persécutes-tu ? Comment je fais pour te tuer ?», je me dis que les morts ne sont que des envieux.

 


Un charme d’écureuil (Dernier extait)

Le restaurant du Sheraton empli d’inaudibles bruissements, comptait à peine une dizaine de convives, des amis triés sur services rendus à El-Hadji Idriss.

Des serveuses d’un traiteur s’activaient autour des grosses bassines dégageant divers fumets d’ail, d’huile, d’oignon, de gingembre, de persil, de piments verts, de viande cuite de mouton et de bœuf. El-Hadji Idriss se leva, rendit grâce à Allah le miséricordieux qui, dans son infinie bonté, les a conduits à une nouvelle année puis souhaita une bonne fête à tous. Il ajouta que chacun restait libre de ses goûts. Ce n’était pas parce que sa religion interdit l’alcool que lui l’interdirait à ses hôtes si dans leur religion à eux, l’alcool ne constituait pas un interdit. On fit circuler des bouteilles de liqueurs et de vin. Mat se servit une bonne rasade d’un Johnny Walker avant de confisquer un Mouton Cadet entier à lui tout seul. Les convives musulmans se contentèrent de sodas.

On servit une soupe où nageaient des tranches de carottes, de choux, de poivron et des morceaux de boyaux, qu’ils accompagnèrent de pain. A peine eurent-ils fini que les serveuses déposèrent dans chaque plat, une pintade entière et des frites. Le restaurant s’anima un peu plus d’éclats de voix et de rires tonitruants. On plaisantait. on riait. La bière avait succédé au vin. Des mains se baladèrent sur les poitrines et les derrières des serveuses qui, sans s’offusquer, semblaient en redemander. Ceux qui finirent leur plat de frites et de pintade se virent servis un pigeon rôti accompagné du petit piment rouge moulu finement pour agrémenter.

Il allait être quinze heures. El-Hadji Idriss se retira. Il avait à recevoir chez lui. Il leur demanda de ne pas lésiner sur leur soif, de ne pas tenir compte de la note, de ne faire que fêter. Les convives musulmans se retirèrent avec lui et il n’en resta que six à boire et à continuer de manger. Ils réclamèrent la musique pour danser et on transporta une enceinte jusqu’au restaurant. Le cadre ne s’y prêtait vraiment pas. Ils exigèrent que l’hôtel ouvrît sa boite. Le directeur présenta les conditions d’ouverture au montant exorbitant. Ils le rabrouèrent et continuèrent par danser au restaurant. Certains invitèrent par téléphone des jeunes filles, leur maîtresse assurément. Les filles invitèrent leurs copines. Le restaurant se remplit finalement de dix-huit personnes, six hommes et douze filles. Mat voulut inviter Ida mais se souvint qu’elle se trouvait à Chairville. Il l’appela. Son téléphone n’était pas connecté. Il essaya une deuxième fois. Sans succès.  Il alla s’asseoir un verre à la main et regarda les autres se trémousser aux différents rythmes qui se succédaient.

Son téléphone sonna. Karim. Il quitta le restaurant et s’éloigna du bruit avant de répondre enthousiaste.

–  Que la paix d’Allah soit sur toi et toute ta famille, mon ami !

–  Amen, répondit Karim. Il ne lui laissa pas le temps de placer un mot et enchaîna. Je n’ai pas une bonne nouvelle pour toi. Ta copine…

–   Tu la surprises avec un autre homme ?

–   Non, ce n’est pas ça !

–  Alors c’est toi-même ? Elle te plaît ma copine ? Je savais que vous de Chairville vous n’avez aucun scrupule à dévoyer les copines de vos meilleurs amis.

–   Tu peux te calmer un moment et m’écouter, Mat ?

–   Me calmer ? Tu veux que je me calme ? Après tout ce que tu me fais ?

Il raccrocha. Karim relança l’appel. Mat laissa sonner jusqu’à la fin. Quelque temps après il reçut un texto de Karim, hésita mais finit par le lire : « Ce n’est pas ce que tu penses. Ce matin ta copine et son père ont eu un accident. Si tu veux la voir une dernière fois, arrive avant 16 heures. »

Le portable lui échappa des mains et s’écrasa sur le plancher carrelé du restaurant, sous les pas des danseurs. Une semelle qui traîna par là, brisa l’écran avant qu’un talon aiguille ne le perce. Il le récupéra fébrilement. Le message tambourinait dans sa tête dissipant l’alcool qu’il avait bu. Il demanda un portable, remplaça le kit et relut plusieurs fois le message. Il rejeta l’évidence de la dernière phrase : « Si tu veux la voir une dernière fois, arrive avant 16 heures ». Il appela Karim. Celui-ci lui dit qu’ils se préparaient pour le cimetière et qu’en se dépêchant, Mat arriverait à temps. Les rites funéraires musulmans ne traînent pas. Karim savait seulement qu’ils ont été écrasés par un camion-remorque dans la voiture de son père. Toute la famille aurait péri : les parents et les enfants, Ida y compris. Avant de raccrocher, il lui dit : j’arrive.

Il retourna le portable au propriétaire, jeta le kit dans la poche intérieure de sa veste et quitta penaud le restaurant, sans rien dire à personne. Dehors, il monta dans sa voiture et, maudissant la cruauté du sort, partit pour Chairville.

 

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***

*

 

 

Blandine, bouleversée, se précipita, pleine d’appréhension, au centre hospitalier universitaire de Monkeyhills. Le coup de fil anonyme qu’elle reçut quelques minutes plus tôt, s’était assuré qu’il s’agissait bien de madame Hombaley Mat avant de lui enjoindre poliment d’arriver au centre hospitalier, toute affaire cessante. Un infirmier l’accueillit et la conduisit dans une salle privée, la même où quelques semaines plus tôt, on hospitalisa Baymate. Il ouvrit la porte, s’approcha du lit et tira le drap blanc qui recouvrait un corps et s’écarta pour la laisser entrer.

Dans le lit, était couché un homme. Le visage tuméfié le rendait méconnaissable. Cependant, Blandine reconnut son homme : il portait encore le costume qu’il mit la veille, la cravate bleu pétrole sur une chemise blanche à petits carreaux rouges, jaunes, bleus et violets. A l’exception des chaussures qu’il ne portait plus, il s’agissait bien de lui, Mat, son époux. Il n’était pas rentré la veille et elle ne s’était pas alarmée. Il lui avait dit : donne-moi un peu de temps.

Elle fit deux pas vers le lit. Elle considéra le corps étendu essayant de comprendre. Elle se pencha sur lui, se demandant si un souffle de vie l’habitait encore. Blandine découvrit alors une fine coulée de sang séché du front jusqu’au menton. Du sang maculait également sa chemise au niveau de la poitrine. Elle le secoua sans obtenir un quelconque signe de vie. Elle le secoua encore plus fort, répétant son nom.

Un médecin entra. Il était suivi de l’infirmier, d’un anesthésiste et d’un brancardier. Blandine ne les remarqua pas.

–          Vous êtes… ?

Elle traîna à répondre mais finit quand même par dire :

–  Son épouse. Qu’est-ce qu’il a eu, docteur ? Pourquoi ne me répond-il pas ? Docteur, dites quelque chose !

–  Emportez-le, dit-il aux autres puis se tournant vers elle, ajouta : venez avec moi, je vais vous expliquer.

On déplaça Mat du lit au brancard et la cabine se vida. Blandine sortit derrière eux dans le couloir et les regarda pousser le brancard portant Mat, elle ne sut vers où. Elle baissa la tête, paralysée par l’incompréhension. Elle regarda une fois encore le brancard qui disparut dans un autre couloir puis éclata de rire. Ce qui semblait un rire se transforma aussitôt en pleurs. Elle se jeta à même le carreau du couloir ; son pagne lui tomba de la hanche dévoilant un collant noir s’arrêtant à mi-hauteur des cuisses et trois rangées de perles blanches à la hanche. Effondrée contre un mur, la bouche grandement ouverte et dans des mouvements saccadés de flexion et d’extension des jambes, Blandine pleurait sans gêne. Certaines larmes finissaient dans la bouche tandis que d’autres terminaient leur cours sur sa chemisette beige. Les portes des salles d’hospitalisation s’ouvrirent et bientôt le couloir s’emplit de visages noirs, ahuris, figés dans la contemplation d’un spectacle de geignements alternés de pleurs. Indéniablement cette femme pleurait un être cher, un enfant, un mari, un cher parent. Le médecin revint l’entourer affectueusement de son bras et l’entraîna vers les bureaux. L’amour qui pleurait s’éloigna, puis le couloir se vida de ses regards hébétés.

Elle croisa sans la connaître Ida qui courait aussi aux nouvelles. Jamais elles ne sont vues. Blandine ignorait l’existence de Ida. Sans l’avoir connue, Ida savait qu’elle partageait un homme avec une femme. Mais en voyant cette femme affligée en collant, un pagne jeté sur l’épaule, pleurant d’énormes larmes comme si ses yeux fussent fondus, cette femme qu’un médecin évidemment tentait de consoler, Ida devina qu’il s’agissait belle et bien de madame Mat. Mat lui avait dit un jour, parlant de Blandine : elle a des yeux blancs et un teint noir brillant. Elle marqua un arrêt, se retourna pour regarder la femme qui traînait le pas aux côtés du médecin.

Pourquoi le sort s’acharnait-il ainsi sur elle ? Pourquoi en moins de 24 heures, fallait-il qu’elle pleurât son père et sa jeune sœur ? Pourquoi le destin lui avait-il pris son Mat alors qu’il se rendait à son faux enterrement à elle ? En revenant de Chairville ce lundi matin, elle avait vu l’épave de la Benz encastrée dans le tronc immense d’un teck à une vingtaine de kilomètres de Monkeyhills. Son bus avait marqué un arrêt et les gens racontaient que la gendarmerie avait eu recours aux soudeurs pour sortir le corps. Elle s’était mise à pleurer et les autres passagers la trouvèrent top émotive. Une bonne dame avec une incisive en or, l’opulence tapageuse des Azias, la consola d’un « il aurait bu. Ces infidèles boivent trop, ma fille. C’est la punition divine. » Ida posa sur elle un regard assassin. La bonne dame se tassa sur son siège.

 

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**

 

 

Revenu à Chairville pour l’Aïd-el-kébir, son père ne pouvait manquer de respect au commissaire en ne se rendant pas à son invitation. Ida se devait d’être en vie grâce au feuilleton brésilien que la chaîne première passait. Elle avait préféré le feuilleton à l’invitation et son père s’y rendait avec sa jeune sœur, Kadira, qui venait d’avoir le baccalauréat, lorsqu’ils furent écrasés par un camion-remorque lourdement chargé et dont le système de freinage avait foiré.

Son téléphone n’avait alors cessé de sonner; on voulait s’assurer qu’elle était bien vivante ou bien morte. Quelle indécence tout de même ! Comment aurait-elle pu répondre si elle avait été tuée dans l’accident ? Elle ne répondait à personne. Semant davantage de troubles. Sauf bien entendu à Bernice qui lui annonça l’accident de Mat. Toute la ville en parlait d’effroi. Aussi, dès que sa cour se fut vidée ce matin, elle quitta Chairville et radina au CHU de Monkeyhills.

Elle regarda encore Blandine et le médecin prendre un autre couloir. Elle se mit à pleurer moins ostensiblement et, en se caressant le ventre, leur emboita le pas. Elle courut presque après eux. Aura-t-elle la force de lui dire, à cette femme, qu’elle portait un enfant de Mat ? Qu’il était parti sans le savoir ?


Un charme d’écureuil (Extrait IV)

Mat la reconnut tout de suite et fut désarçonné par le spectacle qu’il découvrit : recroquevillée entre le pot des waters et le mur, la tête sur les genoux, les deux bras voilant son visage, Ida pleurait chaudement. Il resta interdit un moment et lorsqu’il se retourna vers Bernice chercher quelque explication, celle-ci avait disparu, sur la pointe des pieds. Il sentit la colère l’envahir. Ainsi, Bernice l’avait entraîné dans un traquenard. Elles avaient convenu d’un piège à sexe. Le scénario se déroula perfidement dans son esprit : Ida aurait surgi de sa cachette. Cruel ! Qu’auraient-elles fait ? L’humilier ? Le violenter ? Les aurait-elle rejoints pour une partouze ? Très peu !

Mat la laissa à ses pleurs et retourna s’asseoir sur le lit, pensif. Il resta ainsi partagé entre s’en aller et rester. Les raisons d’une si sordide mise en scène le turlupinaient. Toutefois, il ne possédait pas la lucidité indispensable à l’analyse. Malgré l’évidence qu’elles l’avaient éprouvé, il continua de penser que le mobile se trouvait ailleurs.

Les sanglots peu à peu se turent. Au bout de quelques minutes Ida sortit de la douche. Elle fixait sous la lumière blanche silencieuse.

–   Pourquoi, demanda-t-il ?

–  Je suis à toi.

–  Tu n’es pas un trophée que je dois remporter. M’aimer n’est pas récompenser quelque mérite ou quelque vertu.

–  Désolée, dit-elle.

–  Ne sois pas désolée.

Elle vint s’étendre et s’endormit aussitôt. Il la regardait endormie, le souffle régulier, couchée en chien de fusil et toutes les questions continuaient de le bousculer. Il quitta la chambre sans faire du bruit.

Chez lui, il retrouva Blandine son épouse, au salon, les yeux scotchés à un film arabe. Il aperçut des cavaliers enturbannés avec de longues épées et des poignards recourbés se poursuivre entre monts et vallées. Il était une heure et vingt minutes. Elle se contenta de le détailler du regard sans broncher. Mat savait qu’une insidieuse inquiétude la grignotait, mais que stoïque ou calculatrice, elle ne lui dira rien, ne posera aucune question. Au réveil, elle le regardera de ses yeux blancs, inexpressive. Il prit une douche et alla se coucher avec le sentiment que quelque chose de neuf et de beau venait d’entrer dans sa vie. Une aurore, une belle aurore dissipait les épaisses couches de chagrin qui le minaient et son cœur émoustillé se préparait à s’abreuver de nectar et se régaler de monts d’ambroisie.

Les jours et les mois qui suivirent, ils s’aimèrent sans retenue, les chairs hissées, ainsi les voiles d’un navire, aux grands vents des plaisirs. Les weekends, ils faisaient des virées vers les villes voisines. Parfois ils y restaient dormir tout le weekend et lui ne rentrait que lundi matin, se changeait puis allait à son collège.

Il arrivait chez lui comme un étranger puis repartait aussitôt. Bien qu’il survînt aux services essentiels de la maison, sa présence commença à manquer aux enfants. Son fils aîné, en deuxième secondaire, lui demanda un matin ce qu’il restait faire dehors toutes les nuits. La question le bouleversa. Il promit qu’il lui répondrait une autre fois. Ce soir il rentra plus tôt, à minuit. Blandine le réveilla à 4 heures. Elle lui parla des notes de plus en plus minables des enfants à l’école. S’il pouvait avoir la décence de rentrer tôt les soirs, il les aiderait dans leurs exercices. Tous les hommes sortent. Je ne peux pas t’interdire de sortir. Pense au moins à ta famille. Nous existons aussi. Il ne la rabroua pas comme certaines fois où elle le réveillait à cette heure pour des mises au point sérieuses. Il répondit paisiblement qu’il traversait des zones de turbulences et qu’il en sera sorti très bientôt. Il lui demanda de prendre patience. Elle lui rappela pour clore le sujet qu’elle est femme et qu’il ne soit pas surpris en rentrant de ses turbulences, de ne pas la voir dans son lit. Pourvu que ton bientôt ne soit pas celui de Jésus-Christ.

Les jours suivants, il rentra vers 18 heures. Il aidait les enfants pour leurs devoirs de maison. Dès qu’ils allaient s’endormir, il leur souhaitait bonne nuit puis courait rejoindre Ida. Il prenait soin alors de renter avant leur réveil. Il ignorait que toutes les nuits, pendant qu’il chantait l’hymne à la chair avec Ida, Blandine pleurait seule dans leur lit. Elle ne se plaignit à personne. Elle buvait seule sa calice d’infortune jusqu’à la lie.

Il rentra un matin vers 5 heures et ne la trouva pas. Il alla réveiller l’aîné fulminant de rage. Le regard hébété du petit l’énerva davantage. Il appela Blandine sur son portable. Elle ne décrocha pas. Il reprit. En vain. La cinquième fois, elle s’excusa. Elle n’avait pas pris avec elle le téléphone en se rendant à la pharmacie. La nuit, Baymate leur puînée de deux ans, a eu une fièvre et elle l’a conduite à l’hôpital. Il s’effondra dans un fauteuil groggy. Il évita de penser que son enfant pouvait mourir la nuit pendant que lui farfouillait dans les chairs d’une fille. Il prépara les enfants et les conduisit à leur école respective avant de se rendre au centre hospitalier universitaire de Monkeyhills. Il esquiva le regard de Blandine, eut de la peine à prendre Baymate dans ses bras, qui, l’ayant vu, s’anima d’un « papa ! Papa ! Papa ! ». Ses yeux se mouillèrent de larmes. Sa gorge se noua et il pleura. Blandine le laissa s’essorer de ses larmes, heureuse qu’il comprenne et espérant qu’il quitte rapidement sa zone de turbulence.

La maladie de Baymate parut l’ébranler profondément. Il descendit de son nuage mais ne quitta pas sa zone de turbulence. Il rentrait tous les soirs et restait dormir. Les notes des enfants s’améliorèrent considérablement. Le visage de Blandine s’épanouit d’une tranquillité. Toutefois, il lui arrivait certaines nuits de sortir sur la pointe des pieds, simplement habillé comme pour faire cent pas dans le quartier mais de se rendre chez Ida sur un taxi-moto. La jalousie l’inspirait et il imaginait des scenarii impossibles où il voyait Ida soumise à la brutalité d’un goujat dans le lit qu’il lui a offert. Il s’irritait. Il ignorait ce qu’il ferait s’il la surprenait à le tromper. Non, Ida ne pouvait pas lui faire ça. Bien qu’il se rendît chez elle dans cette expectative, il redoutait d’y trouver un homme.

Ida tolérait qu’il reste dormir chez lui. Cependant, elle obtint qu’il lui accordât trois nuits sur les sept que compte une semaine. Il lui consacra les vendredis, les samedis et les dimanches. Blandine ne s’alarma pas. Un jour que tous les deux suivaient un feuilleton brésilien à la télévision, où, dans une séquence, un homme annonça à son épouse qu’il ne l’aimait plus, qu’il la quittait pour une autre, pour Angelica, Blandine lui demanda à brûle-pourpoint le nom de cette fille chez qui il passait les nuits. Confus, il demeura sans voix. Blandine insista : qu’est-ce qu’elle avait de spécial ? C’est une blanche ?

–  Il ne s’agit pas d’une fille, ce n’est pas ce que tu crois, bégaya-t-il, la gorge nouée.

–  Alors c’est un jeune homme ? Serais-tu devenu bisexuel ?

–  Qu’est-ce que tu vas chercher ?

–  J’invente si tu me caches tes activités nocturnes.

–  Laisse tomber. Donne-moi un peu de temps, c’est tout.

–  Un peu de temps, pourquoi ?

–  J’ai dit laisse tomber.

–  Pourquoi ne me quittes-tu pas pour elle ? Tu n’as pas le courage de me le dire, n’est-ce pas ? J’irai de mon côté faire ma vie avec un autre homme. Je suis encore désirable.

Il éluda la question et sortit.

Mat prit un congé de trois semaines. Ida en vacance, n’avait pas rejoint ses parents à Bédila. Il déposait les enfants à leur école et passait les matinées et les après-midi chez elle. On le vit plus souvent à table au déjeuner et au dîner. Les trois semaines s’écoulèrent et il dut reprendre à regret son service.

La fête de l’Aïd-el-kébir arrivait dans une semaine. Ida partit la veille de la fête rejoindre ses parents revenus à Chairville, leur land natal. Tous les ans, cette fête rassemblait toute la famille. Ida sera rentrée dans trois jours, au lendemain de la fête.

L’Aïd-el-kébir se célébrait un dimanche. Il se rendit dans l’après-midi à l’hôtel Sheraton où un ami El-Hadji l’a invité. Blandine et les enfants le regardèrent partir, les enfants fiers d’avoir un père élégant, l’épouse encore ravie des sensations de la nuit enflammée du samedi, sensations qu’elle n’avait plus connues depuis plusieurs années.


Arrêt sur images: pratiques magiques aux carrefours (Kara – TOGO)

Carrefour 1Un phénomène que j’observe depuis longtemps dans mon pays, dans les villes où j’ai vécu: (Sokodé, Lomé, Tchamba, Sotouboua, Kara, Atakpamé…), est le mystère des carrefours. Il est curieux de retrouver à des carrefours des œufs cassés ou entiers, des marmites remplies de feuilles, des bizarreries qui surprennent.

Que symbolisent les carrefours dans ces croyances obscures?

Samedi 29 novembre, à deux carrefours, je n’ai pas hésité à daguerréotyper ces curieux objets qu’on dépose aux carrefours. Pour quelles fins ? A quel moment déposent-ils ces objets mystérieux ? On ne les retrouve qu’au petit matin.

La foi sauve, dit-on : pourvu que le crédit que les auteurs accordent à leurs actes les sauve ou leur apporte la solution à leur quête.

Mais la question essentielle reste le regard que la municipalité jette sur ces pratiques magiques. Il est évident que ces objets souillent surprennent aux carrefours et polluent  l’environnement. Les autorités municipales interdiront-elles un jour ces pratiques ?

Question pour tout l’or de Fort-Knox.

Autres images:

Carrefour Carrefour 2 Carrefour 1 Autre carrefour 5 Autre carrefour 2 Autre carrefour 1


Le pont sur la rivière Kara (Nord TOGO)

DSCI0954Il y a bien longtemps, je me suis promis de parler de ce pont, le pont sur la rivière Kara, le nom de la ville où je vis depuis 2002. Je ne connais pas sa longueur, mais debout sur le parapet, j’ai un vertige de la profondeur. L’idée que je peux me retrouver sur les rocs qui tapissent le lit de cette rivière me paralyse les jambes.
Cette rivière est un poumon de l’économie de la région. Certaines femmes font des plongées dangereuses à la recherche du sable qu’elles revendent pour les travaux de construction. Mais la plus importante activité reste le maraîchage. De braves et nombreux maraîchers travaillent sur les berges de la rivière et fournissent toute la ville en laitues, choux, aubergines, concombre, tomate, oignon, corète, amarante, carottes… Ils ravitaillent même Lomé.
Ce pont relie le quartier Kara-Sud avec sa gare-routière, l’Université, la gendarmerie, la direction régionale des douanes, la station de la CEB, quelques services et les habitations. Il y a un autre pont, colonial celui-là, mais plus vétuste. Il est réservé aux riverains. Mais si ce pont-ci prenait le malin plaisir de s’effondrer comme celui d’Amakpapé, le Togo serait divisé en deux. On ne pourra rejoindre Lomé qu’en passant par Kétao, Djougou au Bénin et par rallier Cotonou. Pour aller même à Sokodé, on ne pourra même pas passer par Bassar car la route de Bassar est située après ce pont. Il faudrait repasser par le Bénin, rallier Tchamba à partir de Bassila au Bénin et redescendre à Sokodé.
L’absence d’un pont vers l’amont de cette rivière (vers les quartiers Tomdè, Lassa) oblige que, pour aller à l’Université par exemple, les étudiants de ces quartiers rejoignent la nationale numéro 1 d’abord. Or un pont sur cette rivière dans ces quartiers désengorgerait la circulation des véhicules en provenance de Kétao, Pagouda, Bénin… La même difficulté se présenté également vers l’aval avec les quartiers de Dongoyo, Adabawéré, Agamadè… Là aussi les habitants sont obligés de venir au rond-point de la station Shell, avant d’aller vers le sud ou le nord. Or un pont là, ouvrirait ces quartiers sur la route de Bassar. Ces ponts seraient-ils en projets ? Vivement que oui. C’est vrai qu’un pont sur cette rivière, c’est pas le prix d’un scooter.
Cette rivière porte son mystère : certaines noyades sont inexpliquées ; parfois la quantité d’eau dans laquelle périssent les victimes ne peut pas tuer un mouton. Et pourtant !
Néanmoins, du parapet de ce pont, la vue, de l’aval ou de l’amont, est magnifique. Ce ravissement vaut le détour de la rivière. Prudence toutefois.

DSCI0919 Aperçu du bas - Pont KaraDSCI0953 DSCI0952 DSCI0935 DSCI0920 DSCI0919 DSCI0954 L'amont (2) L'amont 1 L'amont 2 L'amont le dessous du pont 2 Le dessous du pont 1 L'aval L'aval 4 L'aval 3L'aval Le dessous du pont 1 le dessous du pont 2 Le dessous du pont Les rocs de l'aval 1 Sur le pont 3 Sur le pont 2 Sur le pont 1 Pont vu d'en bas Les rocs de l'avalDSCI0918


Un charme d’écureuil (Extrait III)

En rentrant chez lui cette nuit, il réfléchit, revivant toute la soirée sans parvenir à situer l’origine du malaise. Etait-il assez idiot pour ne pas le savoir ? Assez insensible pour n’avoir pas vu le désastre arriver sur son char de sensualité ?

Une fois rentré, il lui envoya un texto : « Suis bien arrivé, Ida. Sorry for what happens tonight. I’m very confused and I feel so bad. I hope you could forgive me. Have a sweet night, I love you so much ».

Il n’obtint aucune réponse et eut du mal à s’endormir.

Lundi, ils échangèrent juste un bonjour au téléphone. Elle refusa de le voir.

Mardi, elle resta inaccessible.

Mercredi, elle resta inaccessible.

Là, il n’en put plus. Ils avaient convenu qu’il l’appellerait avant de se rendre chez elle. A présent qu’elle était injoignable ?

En quittant le bureau autour de vingt-et-une heure ce mercredi soir, il brava la convention et se rendit directement chez elle. Il heurta timidement à la porte. Elle vint ouvrir et fut surprise de le voir là. Son visage qui semblait tantôt joyeux devint inexpressif. Elle lui demanda d’attendre un moment dehors, elle balayait. Il répondit que cela ne le gênait pas. Elle tira le rideau et il y entra. Elle dégagea quelques livres sur une chaise et il s’y assit petitement d’une fesse. Elle finit de balayer, prit une douche, se voila, dit sa prière silencieusement sur un tapis, et se mit à table pour étudier, le voile toujours sur la tête. Elle se comportait comme s’il n’avait pas existé dans cet espace de trois mètres sur cinq, un garage transformé en chambre à coucher. Que ne feraient les propriétaires pour gagner de l’argent. L’ouverture de l’université quelques années plus tôt dans cette ville avait fait exploser le marché du logement.

Il lui demanda si son portable avait une panne. Elle répondit que non. Comment se fait-il qu’elle était injoignable ? Elle avait changé de numéro. Pour un temps. Pourquoi ne le lui avoir pas dit ?

– J’ignorais que je vous dois des comptes.

– Vous ? Depuis quand suis-je redevenu « vous » ?

Elle ne répondit pas.

– Pourquoi cet éloignement soudain ? Je peux avoir cet autre numéro ?

– Pourquoi pas ?

Elle s’assit convenablement à sa table et se mit à lire.

– On peut discuter un moment ?

– Vous voyez, monsieur, si vous comptez me dire des choses qui vont me bouleverser, je vous prie de vous en aller et de me laisser apprendre.

– Ecoute au moins ce que je veux dire.

– Il serait sage pour vous de partir de cette chambre, et sur le champ.

– Vous m’expulsez alors ?

– Soit, dites ce que vous avez à dire et foutez le camp.

– Madame, je vous remercie. Et bonne nuit.

Il se leva, n’eut pas le courage de secouer honteusement la poussière de ses fesses et s’en alla sans avoir obtenu le nouveau numéro. Lorsqu’il démarra sa voiture en trombe sans savoir où il allait, il était furieux contre lui-même sans toutefois réaliser ce qui lui arrivait. Il fulminait de désespoir. Il ne pouvait concevoir que cette idylle si douce, née d’une tornade de volupté, prit fin, ainsi l’eau usée d’une ménagère versée sur du sable.

 

 

IV

 

Lorsqu’il revint à Monkeyhills, il se rendit directement au jardin public comme à un pèlerinage et s’assit à l’endroit où tous les deux s’assirent quelques jours plus tôt. Il ferma les yeux et il sembla distinguer sa présence tout près. Il les rouvrit et ne vit personne. Il se leva et fit quelques pas. S’arrêta devant la bande de gazon envahie par les herbes sauvages où, en la tenant par la taille, il l’initiait à l’écoute du silence et du souffle des herbes. L’endroit était encore empli de sa présence, de ses rires et de ses tournoiements. En se disant qu’un soir, un autre rêveur l’amènera ici, et qu’à lui, elle racontera dans sa version à elle, cette soirée où elle lui dit être vraiment heureuse à ses côtés, la rage le fit tressaillir. Il voulut fuir de cet endroit, cependant il la sentait si présente, malgré son absence physique. C’était cela le paradoxe des chagrins d’amour : s’éloigner le plus près possible de l’être qui chagrine, soupirant continuellement qu’il restât si loin.

« Plaisir d’amour ne dure qu’un moment

Chagrin d’amour dure toute la vie », dit la chanson. La taille du chagrin est fonction de ces plaisirs.

Son chagrin à lui, durera combien de vies ?

Rentré chez lui, il griffonna quelques mots dans un bloc-notes qu’il traînait partout avec lui :

J’ai le cerveau sous l’emprise de mes sens, forcément, il reste encore sous l’emprise de ton corps. Ida, si tu jouais à m’embrasser, je m’abandonnais à t’aimer entier. Si tu feignais te sentir heureuse auprès de moi, je vivais moi des moments magiques.

« Les hommes mariés ne te conviennent pas ? Je ne polémique pas sur les non-dits moraux et culturels. Mais il est criminel de jouer avec les sentiments des autres. Nous portons tous nos cercueils dans  nos cœurs. »

 

 

 

V

Trois semaines plus tard, des semaines d’intense chagrin et d’humeur rageuse, Bernice chercha à le rencontrer. Il la retrouva vers vingt heures au Nirvana Hotel. Elle l’attendait, assise à la table où il s’assit, lui, un mois plus tôt, en compagnie d’Ida. Lorsqu’elle le vit, Bernice se leva, vint au-devant de lui. Elle se hissa sur la pointe des pieds et lui colla sur la joue, une bise de ses fines lèvres. Bernice était plus courte, plus fluette qu’Ida, avec un regard qui cachait à peine sa charge de sensualité. Toutes les fois qu’il l’a surprise à le regarder, son regard diffusait cette sensualité torride, débordante et  attractive. Il fallait faire violence sur soi pour échapper à l’ensorcèlement de ce regard. Elle lui dit, le tirant après elle, qu’ils discuteraient mieux ailleurs. Elle quitta le restaurant, curieusement vide à cette heure, et se dirigea vers les bâtiments des dortoirs. Elle ouvrit la porte d’une chambre et l’y entraîna. Il hésita sur le pas de la porte mais finit par y entrer. La chambre était simplement meublée : un vaste lit bas, un bureau dérisoire, un poste téléviseur. Il resta debout un moment, indécis, se demandant ce qu’elle lui voulait. Elle s’assit sur l’unique chaise de bureau et lui indiqua le lit. Dès qu’il s’assit, elle rompit le silence.

–  Je t’intrigue, n’est-ce pas ? Tu te demandes ce que je te cherche. Je vais droit au but : Ida m’a tout raconté. Vous n’êtes plus ensemble. Elle t’a envoyé paître, n’est-ce pas ?

Il ne dit rien. Il la fixait juste des yeux. Il se souvint de ce soir où Ida lui dit que Bernice sortirait volontiers avec lui, si elle, Ida, se refusait à lui. Ainsi, elle avait attendu tranquillement son tour. Dès à présent que le feu de l’idylle entre Ida et lui a expiré, elle pouvait surgir de sa coulisse et jouer sa partition.

Elle se leva et vint s’asseoir sur le lit, tout près de lui. Il ne frémit même pas malgré sensation agréable au contact de ce petit corps.

–  Je l’avais prévenue, mais elle ne m’a pas prise au sérieux. Moi, je suis entièrement disponible. Je ne te ferai pas morfler. Prends-moi quand tu veux, comme tu veux. Je suis ton objet. D’ailleurs, elle sait qu’en ce moment, je suis ici avec toi.

–  Qu’est-ce qu’elle a dit ?

–  Elle s’en fout. Tu ne l’intéresses plus.

Un silence déculpabilisé s’installa entre eux. Ils étaient là. Se regardaient, communiquant leur désir de se tomber dans les bras, de se dévêtir et de se posséder dans un galop des sens.

Comme il ne réagissait pas, elle se leva et s’assit sur ses cuisses à califourchon. Sa courte robe de tissu imprimé remonta jusqu’à la naissance des cuisses. Elle fit descendre le zip de sa robe, secoua les épaules et en fit tomber les bretelles. Des minuscules seins fermes jaillirent sous le regard médusé de Mat.

Dès cet instant, Mat n’eut aucune autre envie que de la prendre, là, violement. Il ne sentit aucune frontière morale, aucune réprobation. Elle s’offrait à lui. Il la prendrait. Il se vengerait ainsi des frustrations vécues avec Ida. Il se vengerait de la fille du colonel qui a eu la lumineuse inspiration de se faire engrosser dans un lit d’hôpital, de toutes ces filles qui l’ont éconduit. Il vengerait tous les hommes du mépris et de l’insolence des femmes qui croient qu’avec leur sexe, les curés peuvent se parjurer. Pourquoi d’ailleurs refuserait-il une offre pareille ? Coucher avec Bernice, la meilleure copine et confidente d’Ida, ne se posa plus à lui en bien ou en mal. Du reste, elles n’étaient que copines et pas sœurs. Le fussent-elles qu’il s’encombrerait de moral ? Sa raison s’embrouillait, s’embrumait de volupté.

–  Je ne te plais pas, demanda-t-elle boudeuse ?

–  Arrête, s’il te plaît !

–  Que se passe-t-il, se plaignit-elle ?

–  Tu ne peux pas comprendre.

–  Qu’est-ce que je ne peux pas comprendre ?

Elle sanglotait à attendrir n’importe quel sicaire.

–  Tu vois, cette fille, elle peut me mépriser autant qu’elle veut. Je l’aurai toujours dans la peau. »

–  Je dis qu’elle te déteste.

–  Elle le fait juste.

–  Je la maudis ! Je la maudis ! La malheureuse ! Elle t’a largué et moi, je ne peux pas sortir avec toi, quoique je t’aime. Elle détruit tous ceux qu’elle aime. La maudite ! Je ne le lui pardonnerai jamais d’avoir rendu impossible notre relation.

Mat descendit du lit et entreprit d’ouvrir la porte. Il considéra un moment Bernice secouée de sanglots, étendue sur le ventre, le petit corps de fillette à peine pubère.

Il se surprit à penser au supplice de Tantale : voir sans toucher, désirer sans posséder.

–  Je souhaiterais que tu me comprennes : je ne peux pas faire ça. J’ai pour elle des sentiments si purs, si ardents que je ne m’autoriserai leur trahison. Je succombe à son charme même en son absence et malgré son mépris. Absente, elle continue de me regarder. Je voudrais garder intact, le regard de son absence. Ida exerce sur moi une telle fascination, un tel envoûtement qu’honorer mon épouse, me paraît la trahir.  Tu n’as pas idée des efforts que je fais pour te résister. Je suis désolé. Je dois partir. Je te souhaite de passée une douce nuit.

Il ouvrit la porte. Il lui sembla distinguer des sanglots de l’autre côté du mur. Mais les larmoiements se firent plus insistants et rapprochés. En y prêtant plus attention, il devint presque certain que les sanglots provenaient de la douche. Il considéra Bernice interrogateur. Elle haussa les épaules amusée. Les sanglots continuèrent de plus belle. Son regard allait de Bernice à la porte close de la salle de bain. Bernice enjouée, riait. Curieuse métamorphose : passer des sanglots au rire ! Un éclair traversa son esprit et il se précipita vers la porte qu’il ouvrit.


Un charme d’écureuil (Extrait II)

Je devrais refuser. Cependant… j’accepte. Je suis conquise. Tu es pareil à cette île sauvage que tous les explorateurs aimeraient visiter. Bernice, une copine, te trouve super. Elle m’a même dit que si je continuais de te refuser, elle te prendrait. Elle m’a déterminée à baisser le pont-levis. Tu ne dis rien ?
– Je ne trouve pas des mots pour dire combien je suis ému. Je crois que je dois une bière à Bernice. Nous l’inviterons un soir.
– Oui, ça tu lui dois ça, et bien plus.
– Nous verrons. Tu sais je parle rarement de moi, je n’aime pas non plus faire des promesses. Cependant, je suis sûr que toi et moi, ce sera merveilleux.
Il sentait, pendant qu’il roulait, son regard le fixer comme pour une dissection. Il ne releva pas et continua de rouler. Quand il se rangea devant chez elle, tous deux se regardèrent, des regards chargés d’une intense sensualité. Il porta sa main droite à la nuque de Ida et entama une légère caresse du front à la nuque et de la nuque au front, glissant de temps à autre sur sa joue gauche. Elle ferma les yeux, pencha sa tête sur la main qui lui procurait une sensation de plaisir. Il continua ainsi, l’attirant peu à peu à lui. Dans cette position inconfortable entre leviers de frein-à-main et de vitesse, ils échangèrent un long baiser dans une accélération des souffles. Les bouches se dessoudaient puis se soudaient à nouveau langoureusement. Mat envoya sa main sur la poitrine. Elle l’interrompit. Ils marquèrent une pause, se considérèrent droit dans les yeux comme pour se rendre compte qu’il s’agissait bel et bien d’eux ; qu’aucun d’eux ne se trompait de partenaire, puis les bouches à nouveau s’unirent. Les phares des voitures et des motos, les paroissiens d’une église voisine qui rentraient, ne les contraignirent même pas à se lâcher. Au bout d’une quinzaine de minutes de ces séquences, Ida s’arracha à lui.
– Demain j’ai cours et je dois au moins réviser mes notes avant de m’endormir.


Il était vingt-trois heures. Il se rejeta sur le dossier de son siège, abattu. A aucun moment de la soirée, l’idée qu’ils se quitteraient, qu’un moment viendra où ils devraient se séparer, qu’il rentrerait chez lui sans elle, ne l’avait point effleuré. Il se surprit à répéter mentalement des vers du Lac de Lamartine : « Ô temps, suspends ton vol ; Et vous, heures propices suspendez votre cours ! ». Il éprouva à l’instant la cruauté du temps. Il ne voulait pas la quitter. Il la voulait à ses côtés, la garder, la regarder, l’embrasser comme tantôt. Sa présence devint vitale comme si son souffle en dépendait. De la laisser partir, il ne supportait l’idée.
– Tu dois avoir une épouse compréhensive. J’ai toujours remarqué que tu l’appelles autour de dix-neuf heures pour la rassurer. C’est chouette. J’aimerais bien connaître vos enfants.
– Si la vie ne pouvait être que ça : sans pluie, sans pleurs. Si on pouvait être ainsi, pour l’éternité. Tu sais, je me sens si bien à tes côtés.
– Nous n’avons pas l’éternité. Notre fortune se limite à l’instant.
Elle lui prit la main droite : « je suis heureuse, dit-elle. Il y a longtemps, je ne me suis sentie autant bien. »
– Je t’amène dans mon antre ?
– Non ! Il fait nuit, dit-elle fermement.
– J’aimerais partager les émotions que je vis là avec toi.
– N’insiste pas. Une autre fois. Demain. Mais là, il faut que je rentre.
– Je n’insiste pas. Tu sais, quand je suis là-bas, j’adore la nuit. La nuit me va bien. L’infinitif anglais dit bien la chose : to fit. Je ne connais pas en français, son correspondant exact. Je ne sais pas si c’est convenir. Mais, c’est cela : la nuit est ma pointure. Je la porte ainsi un talisman reliquaire. Je la contiens, dans son calme et sa douceur. Toutefois, je sais qu’elle déborde mes rives et va sauvage semer larmes et désolation ailleurs. J’ai la nuit comme complice de mes songes et de mes silences, de mes craintes et de ma lâcheté ; si je la réprouve comme complice du mal, c’est en baume que je l’accueille. Elle arrive salvatrice avec son lot de cauchemars. Elle est douce et farouche. Elle protège et trahit. En général, si je déteste la nuit, c’est de trop l’aimer.
– C’est un passage que tu récites ? Ce n’est pas sûr que je comprenne. Qu’importe !
Les bouches se cherchèrent, se rivèrent l’une à l’autre.
– Ok ! On va à ton antre.
Ce revirement le surprit. Quelle versatilité, tout de même !
Il démarra et au bout d’une dizaine de minutes, ils s’installèrent sur un banc à la façade ouest de la Maison des Jeunes.
– Je viens souvent ici quand j’ai de la peine ou quand je suis bloqué dans l’écriture d’un texte. Je reste là à écouter le souffle des herbes.
– Le souffle des herbes ?
– Viens !
Il la tira vers une bande de gazon envahie par des herbes sauvages. La lumière des lampadaires éclairait faiblement cette bande et se dissolvait dans l’éclairage plus intense de la lune qui brillait dans un ciel peu étoilé. Les nuages la recouvraient par moment mais très vite, la lune refaisait surface et ses feux dissipaient toute ombre.
– Ferme les yeux et écoute. Ouvre tes oreilles ; ouvre tes pores à la nuit. Ecoute-la. Ecoute le silence. Ecoute !
Elle ferma les yeux et se raidit légèrement. Cinq minutes s’écoulèrent.
– Qu’est-ce que tu entends, lui demanda-t-il ?
– Rien ! Des cris d’insectes.
– C’est tout ? Recommence !
Elle referma derechef les yeux et bloqua son souffle. Au bout de cinq autres minutes, elle avoua n’entendre que ces bruits d’insectes. Il lui prit la taille par derrière, se colla à elle, lui parla doucement, un murmure.
– On va écouter ensemble. Ferme à nouveau tes yeux. Tu vas d’abord entendre ces bruissements d’insectes noyés dans les pétarades des motos qui démarrent, des coups de klaxons, des décibels des bars lointains. Tu les entends, moi aussi. A présent ne prête plus attention à ces bruits. Ecoute ton souffle. Pense à ce souffle. Pense à la nuit. Pense au vide. Pense au gazon qui peine à pousser sous l’assujettissement des herbes sauvages. Tu devrais distinguer les éclats de rire des herbes, des plaintes du gazon. Tu t’entends respirer. Entends la nuit respirer. Son souffle est plus ténu, plus sibyllin. Ecoute respirer et vivre le calme magnifique de la nuit. Tu devrais sentir la joie de cette nuit. C’est sublime. Le sens-tu ? Ida, tu devrais.
– Nooonnn ! Je ne peux pas.
Elle se retourna et le baiser le surprit. Furtif.
– L’an dernier un gars sortait avec moi, dit-elle un brin vindicative. Rien de plus. Lui aussi aimait venir ici. Un soir, on est venu. Je n’ai pas aimé. Il me tapait sur les nerfs et je me suis ennuyée à mort. Depuis, je n’ai plus cherché à le revoir, surtout qu’il m’avait traitée de petite fouineuse. Mais ce soir, Mat, c’est différent. Je me sens si heureuse, sincèrement. Merci.
Elle se mit à tournoyer sur elle-même, la jupe de flanelle s’ouvrant au vent. Elle lui prit la main et tous les deux tournoyèrent, allant jusqu’aux pas de rock ; elle riait tout joyeusement tandis que lui, déconnecté de la réalité, semblait vivre dans un autre monde. Loin des charges familiales, loin des réalités administratives, loin de la corrosivité du quotidien. Mat se sentait un tout autre homme, neuf, frais, empli d’une faim de vivre, d’aimer, de n’aimer que Ida. Pour toujours.
Il était deux heures lorsqu’il la ramena chez elle. Une fois rentré, il lui envoya un texto : « Je suis bien rentré. Tu sais, je me sens si heureux que tu acceptes. Merci. Cette soirée était enivrante. J’ai aimé. J’aurais préféré qu’elle ne finisse jamais. Douce nuit, je t’embrasse fort ».
Sa réponse ne tarda pas : « Tu as allumé tellement de désir en moi que même quand j’évite d’être trop près de toi, tu défiles dans ma tête. Tout ce temps que j’ai refusé tes invitations, j’évitais de te rencontrer, car j’étais certaine que je tomberais dans tes bras, si tu me le demandais. C’est incompréhensible que tu exerces un tel charme sur moi. Tu es magnifique, dors bien ».
Le cœur guilleret, il prit une douche, et alla s’allonger tout près de son épouse engloutie dans les vagues du sommeil. Le corps tout chaud, au contact du sien frais, le laissa indifférent. Il faillit même s’énerver. Il recula et avant de s’endormir, repensa, émoustillé, à cette merveilleuse soirée.

 
III
Le lendemain, un vendredi, il arriva dès six heures au bureau très folâtre et travailla d’un bel entrain. Il taquinait tout le monde. On ne l’avait vu autant joyeux. D’ordinaire, il s’enfermait dans son bureau, répondait au téléphone et ne mettait le nez dehors que pour se dégourdir les jambes. Il ne supportait pas les retards dans les délais, mais ce jour, la secrétaire fut surprise qu’il accorde trois jours supplémentaires à un enseignant pour un rapport qui devait être rendu deux jours plus tôt. Mat exerçait comme directeur d’un collège privé d’enseignement technique. S’il est une chose qu’on pouvait lui reprocher, c’est de concentrer le pouvoir et de ne pas développer la participation.
Il passa toute la journée dans une excitation adolescente attendant son appel. A dix-huit heures, assis encore au bureau à buller devant son ordinateur, il écoutait en boucle Elle a les yeux revolver de Marc Lavoine, trépignant d’impatience que les aiguilles de sa montre fussent percluses, tellement le temps n’avançait pas. Elle lui avait dit : « demain je m’offre à toi. Je t’appellerai ». La journée s’était écoulée lentement. A vingt heures il n’avait toujours pas quitté son bureau. Il sursautait à chaque appel. Aucun, cependant, ne provint d’elle. Il se donna trente minutes puis l’appela. Elle répondit qu’elle se trouvait encore à l’université à préparer ses examens du samedi et qu’elle lui ferait signe dès qu’elle aurait fini. Il pourrait même venir la chercher.
Il parcourut les dernières pages d’un document sur l’élaboration d’un projet d’établissement qu’il lisait sans véritablement rien comprendre, ferma son bureau et partit. Il s’attabla au Las Vegas, le bar où il l’invita la première fois et commanda une bière, attendant son appel.
Trois filles habillées tendance, des étudiantes assurément, et trois hommes occupaient la table voisine. La discussion basse s’éleva entre-temps et il put distinctement écouter ce qui se disait. L’une des filles, plus volubile ou plus indignée que les autres, vitupérait contre l’inconstance des hommes. Elle leur reprochait d’abandonner leurs épouses à la maison et de courir après la chair fraîche. Elle conclut sentencieusement qu’elle ne succomberait pas elle, à un péché si odieux. Un homme lui demanda calmement ce qu’elle faisait là ce coir avec son Jeb. Elle répondit que, accepter une invitation ne signifie pas accepter les avances d’un homme. Le même homme reprit qu’une fille qui accepte son invitation à lui, finit dans le lit le même soir. Les autres s’esclaffèrent de rire et le gratifièrent d’un « Bob » louangeur. Le voisin immédiat de la jeune fille volubile rassura qu’elle aussi finira dans le lit avec lui.
Mat se dit que le sujet méritait quand même qu’on y réfléchisse. Les filles paraissaient de plus en plus belles et de plus en plus nombreuses. Les hommes devraient-ils se contenter de les lorgner de leur périscope de vertueux sans oser les toucher ? Au nom de quoi un homme marié ne peut-il tomber amoureux d’une fille, s’il succombe à son charme ? La question était-elle morale, religieuse ou culturelle ? Si pour se sentir heureux, un époux devrait avoir une relation extraconjugale avec une jeune fille, son épouse le lui concéderait-elle ? De même un époux accepterait-il que son épouse soit heureuse avec un autre homme tout en vivant au foyer ? Il s’énervait déjà en imaginant sa femme avec un autre homme. Il se dit qu’il y penserait une autre fois. Tant que sa conscience ne le culpabilise pas dans ce commerce, il continuerait. La vie est si dure à vivre ; trop de colère à résorber. Le reste est hypocrisie et menterie.
A vingt-deux heures, Ida n’avait toujours pas appelé. Il composa son numéro. Il sonna en vain. Il reprit cinq minutes plus tard. Sans succès : elle ne décrochait pas. Minuit le retrouva le bec trempé. Il reprit les appels. Cette fois-ci, le téléphone sonna et à la troisième sonnerie, elle coupa. Il relança et elle coupa l’appel à la seconde sonnerie. Puis, elle éteignit certainement son portable puisqu’il ne put plus établir de connexion avec elle. A une heure, dernier client, il somnolait. Ses voisins s’étaient en allés, chacun avec une fille sur leur moto. Il régla l’addition et s’en alla sifflotant cet air de Joe Dassin pour noyer son chagrin :
« Je l’ai vue près d’un laurier elle gardait ses blanches brebis,
quand j’ai demandé d’où venait sa peau fraiche elle m’a dit,
c’est d’rouler dans la rosée qui rend les bergères jolies!!
mais quand j’ai dit qu’avec elle je voudrais y rouler aussi
Elle ma diiiiit ….
elle ma dit d’aller siffler là haut sur la colline, de l’attendre avec un petit bouquet d’églantines.
j’ai cueilli les fleurs et j’ai siffler tant que j’ai pu j’ai attendu attendu elle n’est jamais venue

zaï zaï zaï ….
zaï zaï zaï ….

zaï zaï zaï ….
zaï zaï zaï …. »
Avant de se coucher, il lui envoya un court texto : « Pourquoi, Ida ? Pourquoi ? »
Il n’obtint aucune réponse. Il s’endormit plein de dépit et d’incompréhension. La journée de samedi s’écoula sans qu’elle ne lui fît un signe. De son côté, il se fit violence et ne l’appela pas.

* * *
Le jour suivant fut un dimanche. D’ordinaire, son épouse va à l’église avec les trois enfants, lui va jouer au ballon dans un club de séniors. Dieu ne le préoccupait pas. Il répétait autour de lui que Dieu était son voisin de dos qu’il importait de ne pas bousculer.
Le jeu finit souvent entre neuf heures et dix heures. Il hésita à l’appeler. Quelle fascination cette fille exerçait-elle sur lui ? Il s’en était toqué sans laisser un quartier de bon sens qui le ramène à la raison à ses moments d’égarement. Il ne put se retenir. Alors qu’il composait son numéro, il se rappela son amour de collégien avec Viviane. Il avait dix-sept ans et en fut éperdument épris. Tous les deux pouvaient rester à deviser des heures et des heures. A l’époque, il ne supportait pas que Viviane fût loin de lui, qu’il ne la vît pas lorsqu’il le désirait. La savoir loin, était cruel. Il souhaitait sa présence continuelle à ses côtés. Etait-ce cela l’amour ? Il revivait les mêmes sentiments avec Ida. A l’époque, il était célibataire et il ne se fut même pas agi de sexe entre eux. Aujourd’hui il a fondé une famille et ses rapports avec les femmes, s’ils ne sont pas professionnels ou commerciaux, cachent mal leurs intentions charnelles. Et la présence de cette fille lui manquait cruellement. Quel sortilège le déstabilisait ainsi ? Le souvenir de cette fille le plongeait dans un certain émoi. Il la voulait tout près de lui. Continuellement. S’il le put… qu’aurait-il fait ? L’épouser ? S’installer dans une bigamie ? Il n’en était pas là. Il voulait la voir. Lui parler. La regarder lui sourire, renfrogner la mine ou le fixer de ses petits yeux pendant qu’il lui parlerait.
Lorsqu’elle décrocha à la septième sonnerie, elle s’empressa de présenter ses excuses. Il ne voulut pas comprendre pourquoi elle l’avait planté. Il accepta les excuses et l’invita à manger des boulettes de pâte cuite à base la farine de maïs qu’on appelle « Con », rien à voir avec le mot français. Il alla la chercher. Sa copine Bernice y avait dormi et n’était pas encore rentrée. Mat les invita toutes les deux. Ida refusa que Bernice vienne, lui expliquant qu’elle voudrait rester seule avec son amoureux. Bernice que la compagnie de Mat enthousiasmait dut céder, visiblement à contrecœur.
Ils convinrent d’une ballade à Sandougou, une ville aéroportuaire à cinquante-cinq kilomètres au nord de Monkeyhills, et il revint la chercher vers dix-sept heures. Une fois dans la voiture, elle s’emporta qu’il l’oblige à mettre la ceinture. Il ne pouvait souffrir de la voir en colère ou mécontente. Il déboucla la ceinture qu’elle venait de mettre revêche. Elle lui sourit, le sourire d’une enfant gâtée dont un caprice vient d’être réalisé.
A Sandougou, ils se promenèrent au marché. Elle acheta des mangues et de la morelle, du gombo et du piment vert. Il apprit qu’elle y était née, alors que son père, un gendarme, se trouvait en stage en France. Aujourd’hui il est adjudant-chef et dirige la brigade de Bédila, une ville à 321 kilomètres au nord de Monkeyhills. Ils se rendirent ensuite à la cantine de l’aéroport. Ils se firent servir deux bières et des brochettes de viande de bœuf. Mat avait pris son portable et ils y pianotèrent faisant des recherches dans Encarta, écoutant la musique. Il lui fit écouter la country music de Don Williams, musique qu’il dit adorer entre toutes. Comme la batterie perdait de son régime, ils arrêtèrent l’ordinateur et s’occupèrent à s’embrasser.
Lorsqu’elle remonta dans la voiture pour le retour, elle l’embrassa et lui dit : « Mat, tu me rends vraiment heureuse. Merci. » Puis elle s’endormit sur tout le trajet et fut surprise lorsqu’il la réveilla devant chez elle.
– Tu permets que je vienne t’embrasser chez toi ?
– Bien sûr, accepta-t-elle, en traînant sur le « sûr ».
Ils déchargèrent les légumes, les mangues et Mat les porta dans sa chambre. Il y entrait pour la deuxième fois. La première qu’elle l’y avait accueilli, il s’y trouvait un jeune homme. Mat et lui s’étaient rencontrés dans les circuits culturels. Plus tard elle lui avoua que le jeune homme, étudiant en mathématiques et sciences appliquées, avait été son petit ami. Mais un jour, ayant réalisé tous les deux qu’il ne s’était jamais s’agi d’amour entre eux, décidèrent de rester « amis ». Le jeune homme, Fred, lui rendait visite régulièrement.
Elle avoua surtout que Fred était justement celui qui lui révéla ses prouesses de coureur de jupons. Cela ébranla profondément Mat. D’ailleurs, Fred aussi convenait que Mat avait du bagout, il conseilla à Ida la prudence. « Il m’a dit, conclut-elle : Méfie-toi. Que se passera-t-il lorsqu’il aura couché avec toi ? Une fois ? Deux fois ? Tu crois qu’il t’appellera encore ? Qu’il t’invitera à manger au Nirvana Hotel ? Détrompe-toi, ma chère : ces mecs mariés je les connais. Ils vampirisent votre jeunesse. Tu es avertie. ».
Deux ou trois rencontres à des soirées culturelles, avaient-elles suffi pour que l’étudiant le connût autant ? D’autant plus qu’il n’est sorti avec aucune étudiante, qui plus est, du monde culturel. Il avait essayé avec une, fille d’un colonel, trop fière d’elle-même. Narcissique à torcher son cul avec une bulle papale, à mépriser présidents et milliardaires. Ils ont juste partagé un verre et l’aventure n’était pas allée plus loin. Ce jour elle commanda une pizza et, la mangeant, la compara aux pizzas qu’elle adore manger dans les Mac Do en France. Elle l’irritait et il éluda toutes les autres rencontres qu’elle sollicita. Elle lui envoya un mail un an après leur rencontre : « je suis enceinte. Et tu es loin d’imaginer où on m’a fait l’amour : dans mon lit d’hôpital. J’étais malade et Brian m’a rendue visite. » Pourquoi lui avait-elle envoyé ce mail ? Elle ignorait certainement qu’elle ne valait plus rien pour lui et qu’on aurait pu lui faire l’amour dans sa tombe ou à la morgue, il n’en avait cure.
– Si j’avais tenu compte de tout cela, je n’aurais pas accepté, finit-elle par dire, lui caressant la joue.
– Merci de me faire confiance.
Pendant qu’il vidait les sachets plastiques de leur contenu, Ida se déshabilla et resta en t-shirt et minuscule slip noir à dentelles blanches. Les perles qu’il lui avait offertes quelques jours plus tôt, traînaient encore dans une chaise en plastique. Elle les essaya et dit qu’elle ne supportait pas de porter les perles, mais qu’elle les porterait spécialement pour lui. Il bredouilla un merci. Elle abandonna les perles et vint le tirer de son tabouret pour un câlin. En lui prenant la main, il serra fort les doigts et réveilla une douleur à son auriculaire droit qu’elle avait fait coincer par la portière de la voiture la semaine précédente. Il s’excusa. « Il n’y a plus de câlin, dit-elle, la réprimande dans le ton. Fini ! ».

Il se rassit. Elle allait et venait dans un déhanchement aguicheur. Mat, bouleversé, intimidé, l’observait. On n’abîme pas ce qui est précieux. Il la respectait tellement ; il ne voulut pas lui dire, sans la brusquer, qu’elle le troublait. Il ignorait comment elle réagirait. S’il s’écoutait, il aurait bondi sur elle, lui aurait retiré son minuscule slip et aurait libéré le bâton de sourcier qui ne cessait ces brusques ascensions dans son pantalon comme s’il avait repéré une importante nappe d’eau.

Plus tôt à Sandougou, elle lui avait demandé où ils feraient l’amour s’ils se décidaient à le faire. Elle supplia que ce ne fût pas chez elle. L’imam a béni sa chambre et elle y dit toutes ses prières. Il s’engagea mais expliqua que ces choses arrivent souvent de façon impromptue, quand les sens s’enflamment et s’emballent.

Elle alla à sa couchette, puis revint se planter au milieu de la pièce. Ils ne se disaient rien. Ida considérait les ongles de ses doigts. Mat restait assis. Il soufflait dans cette chambre un air de qui fera le premier le pas. Il se leva, fit un pas vers elle, lui prit les deux mains et l’attira à elle faisant attention à son auriculaire. Les bouches se joignirent dans un baiser dont la volupté irradia leur corps. Elle ondula son pubis. Il ressentit un vertige. Les souffles devinrent saccadés. Ainsi soudés, ils dandinèrent jusqu’à sa table d’étude.

Rien ne les arrêta.

Lorsqu’il retourna s’asseoir sur le tabouret, il la surprit à le regarder intensément avec un brin de réprobation. Le regard semblait indiquer que quelque chose venait de se briser entre eux. Il eut la désagréable certitude que plus rien ne sera comme avant, que les jours à venir seront corsés, comme cet acte venait de rompre un charme ou de mettre fin à la magie du philtre qui créait en chacun, un pôle d’attraction pour l’autre. Convaincu qu’ils avaient tous céder aux sirènes des sens, il voulut néanmoins se la jouer coupable et porter seul la responsabilité. Il lui présenta ses excuses. Il ne savait pas ce qui l’avait pris. Il était navré. Il n’avait pas souhaité que cette première fois se passât de cette façon-là.

–  Pourtant tu avais promis ; tu avais promis qu’on ne le ferait pas chez moi, pas plus tard que ce soir, dit-elle, apathique.

Il se tut. Au fond de lui, il se disait qu’il n’y avait pas matière à chicane. Il ne comprenait pas pourquoi elle tenait tant à ce qu’ils ne fissent pas l’amour chez elle. La superstition : l’imam lui aurait-il dit qu’elle échouerait à ses examens si un homme l’honorait dans sa chambre ? Y avait-il un talisman dont l’interdit était le sexe ? Venait-elle d’enfreindre cette interdiction ? Et où ? Sur sa table d’étude. Plus grave ? Il la considéra un moment essayant de deviner le fil de sa pensée. Elle restait toujours debout. Il prit congé, confus et honteux.

Pourquoi éprouvait-il ce sentiment de honte et de désolation ? L’avait-il violée ? Ce n’est pas l’impression qu’il eut. Peut-être avait-il joué sur sa faiblesse ? Quelle faiblesse ? Si elle ne voulait pas, n’était-elle pas plus forte que lui qui la désirait ? Le faible alors, c’était lui. Il avait espéré que la première fois se passerait dans un cadre propice et de manière confortable. Mais une union à la sauvette ! Il savait pourtant qu’en reprenant toute la scène de la chambre au début avec un « si elle n’avait pas… », la soirée aurait été autre.