Un charme d’écureuil (Extrait II)

14 novembre 2014

Un charme d’écureuil (Extrait II)

Je devrais refuser. Cependant… j’accepte. Je suis conquise. Tu es pareil à cette île sauvage que tous les explorateurs aimeraient visiter. Bernice, une copine, te trouve super. Elle m’a même dit que si je continuais de te refuser, elle te prendrait. Elle m’a déterminée à baisser le pont-levis. Tu ne dis rien ?
– Je ne trouve pas des mots pour dire combien je suis ému. Je crois que je dois une bière à Bernice. Nous l’inviterons un soir.
– Oui, ça tu lui dois ça, et bien plus.
– Nous verrons. Tu sais je parle rarement de moi, je n’aime pas non plus faire des promesses. Cependant, je suis sûr que toi et moi, ce sera merveilleux.
Il sentait, pendant qu’il roulait, son regard le fixer comme pour une dissection. Il ne releva pas et continua de rouler. Quand il se rangea devant chez elle, tous deux se regardèrent, des regards chargés d’une intense sensualité. Il porta sa main droite à la nuque de Ida et entama une légère caresse du front à la nuque et de la nuque au front, glissant de temps à autre sur sa joue gauche. Elle ferma les yeux, pencha sa tête sur la main qui lui procurait une sensation de plaisir. Il continua ainsi, l’attirant peu à peu à lui. Dans cette position inconfortable entre leviers de frein-à-main et de vitesse, ils échangèrent un long baiser dans une accélération des souffles. Les bouches se dessoudaient puis se soudaient à nouveau langoureusement. Mat envoya sa main sur la poitrine. Elle l’interrompit. Ils marquèrent une pause, se considérèrent droit dans les yeux comme pour se rendre compte qu’il s’agissait bel et bien d’eux ; qu’aucun d’eux ne se trompait de partenaire, puis les bouches à nouveau s’unirent. Les phares des voitures et des motos, les paroissiens d’une église voisine qui rentraient, ne les contraignirent même pas à se lâcher. Au bout d’une quinzaine de minutes de ces séquences, Ida s’arracha à lui.
– Demain j’ai cours et je dois au moins réviser mes notes avant de m’endormir.


Il était vingt-trois heures. Il se rejeta sur le dossier de son siège, abattu. A aucun moment de la soirée, l’idée qu’ils se quitteraient, qu’un moment viendra où ils devraient se séparer, qu’il rentrerait chez lui sans elle, ne l’avait point effleuré. Il se surprit à répéter mentalement des vers du Lac de Lamartine : « Ô temps, suspends ton vol ; Et vous, heures propices suspendez votre cours ! ». Il éprouva à l’instant la cruauté du temps. Il ne voulait pas la quitter. Il la voulait à ses côtés, la garder, la regarder, l’embrasser comme tantôt. Sa présence devint vitale comme si son souffle en dépendait. De la laisser partir, il ne supportait l’idée.
– Tu dois avoir une épouse compréhensive. J’ai toujours remarqué que tu l’appelles autour de dix-neuf heures pour la rassurer. C’est chouette. J’aimerais bien connaître vos enfants.
– Si la vie ne pouvait être que ça : sans pluie, sans pleurs. Si on pouvait être ainsi, pour l’éternité. Tu sais, je me sens si bien à tes côtés.
– Nous n’avons pas l’éternité. Notre fortune se limite à l’instant.
Elle lui prit la main droite : « je suis heureuse, dit-elle. Il y a longtemps, je ne me suis sentie autant bien. »
– Je t’amène dans mon antre ?
– Non ! Il fait nuit, dit-elle fermement.
– J’aimerais partager les émotions que je vis là avec toi.
– N’insiste pas. Une autre fois. Demain. Mais là, il faut que je rentre.
– Je n’insiste pas. Tu sais, quand je suis là-bas, j’adore la nuit. La nuit me va bien. L’infinitif anglais dit bien la chose : to fit. Je ne connais pas en français, son correspondant exact. Je ne sais pas si c’est convenir. Mais, c’est cela : la nuit est ma pointure. Je la porte ainsi un talisman reliquaire. Je la contiens, dans son calme et sa douceur. Toutefois, je sais qu’elle déborde mes rives et va sauvage semer larmes et désolation ailleurs. J’ai la nuit comme complice de mes songes et de mes silences, de mes craintes et de ma lâcheté ; si je la réprouve comme complice du mal, c’est en baume que je l’accueille. Elle arrive salvatrice avec son lot de cauchemars. Elle est douce et farouche. Elle protège et trahit. En général, si je déteste la nuit, c’est de trop l’aimer.
– C’est un passage que tu récites ? Ce n’est pas sûr que je comprenne. Qu’importe !
Les bouches se cherchèrent, se rivèrent l’une à l’autre.
– Ok ! On va à ton antre.
Ce revirement le surprit. Quelle versatilité, tout de même !
Il démarra et au bout d’une dizaine de minutes, ils s’installèrent sur un banc à la façade ouest de la Maison des Jeunes.
– Je viens souvent ici quand j’ai de la peine ou quand je suis bloqué dans l’écriture d’un texte. Je reste là à écouter le souffle des herbes.
– Le souffle des herbes ?
– Viens !
Il la tira vers une bande de gazon envahie par des herbes sauvages. La lumière des lampadaires éclairait faiblement cette bande et se dissolvait dans l’éclairage plus intense de la lune qui brillait dans un ciel peu étoilé. Les nuages la recouvraient par moment mais très vite, la lune refaisait surface et ses feux dissipaient toute ombre.
– Ferme les yeux et écoute. Ouvre tes oreilles ; ouvre tes pores à la nuit. Ecoute-la. Ecoute le silence. Ecoute !
Elle ferma les yeux et se raidit légèrement. Cinq minutes s’écoulèrent.
– Qu’est-ce que tu entends, lui demanda-t-il ?
– Rien ! Des cris d’insectes.
– C’est tout ? Recommence !
Elle referma derechef les yeux et bloqua son souffle. Au bout de cinq autres minutes, elle avoua n’entendre que ces bruits d’insectes. Il lui prit la taille par derrière, se colla à elle, lui parla doucement, un murmure.
– On va écouter ensemble. Ferme à nouveau tes yeux. Tu vas d’abord entendre ces bruissements d’insectes noyés dans les pétarades des motos qui démarrent, des coups de klaxons, des décibels des bars lointains. Tu les entends, moi aussi. A présent ne prête plus attention à ces bruits. Ecoute ton souffle. Pense à ce souffle. Pense à la nuit. Pense au vide. Pense au gazon qui peine à pousser sous l’assujettissement des herbes sauvages. Tu devrais distinguer les éclats de rire des herbes, des plaintes du gazon. Tu t’entends respirer. Entends la nuit respirer. Son souffle est plus ténu, plus sibyllin. Ecoute respirer et vivre le calme magnifique de la nuit. Tu devrais sentir la joie de cette nuit. C’est sublime. Le sens-tu ? Ida, tu devrais.
– Nooonnn ! Je ne peux pas.
Elle se retourna et le baiser le surprit. Furtif.
– L’an dernier un gars sortait avec moi, dit-elle un brin vindicative. Rien de plus. Lui aussi aimait venir ici. Un soir, on est venu. Je n’ai pas aimé. Il me tapait sur les nerfs et je me suis ennuyée à mort. Depuis, je n’ai plus cherché à le revoir, surtout qu’il m’avait traitée de petite fouineuse. Mais ce soir, Mat, c’est différent. Je me sens si heureuse, sincèrement. Merci.
Elle se mit à tournoyer sur elle-même, la jupe de flanelle s’ouvrant au vent. Elle lui prit la main et tous les deux tournoyèrent, allant jusqu’aux pas de rock ; elle riait tout joyeusement tandis que lui, déconnecté de la réalité, semblait vivre dans un autre monde. Loin des charges familiales, loin des réalités administratives, loin de la corrosivité du quotidien. Mat se sentait un tout autre homme, neuf, frais, empli d’une faim de vivre, d’aimer, de n’aimer que Ida. Pour toujours.
Il était deux heures lorsqu’il la ramena chez elle. Une fois rentré, il lui envoya un texto : « Je suis bien rentré. Tu sais, je me sens si heureux que tu acceptes. Merci. Cette soirée était enivrante. J’ai aimé. J’aurais préféré qu’elle ne finisse jamais. Douce nuit, je t’embrasse fort ».
Sa réponse ne tarda pas : « Tu as allumé tellement de désir en moi que même quand j’évite d’être trop près de toi, tu défiles dans ma tête. Tout ce temps que j’ai refusé tes invitations, j’évitais de te rencontrer, car j’étais certaine que je tomberais dans tes bras, si tu me le demandais. C’est incompréhensible que tu exerces un tel charme sur moi. Tu es magnifique, dors bien ».
Le cœur guilleret, il prit une douche, et alla s’allonger tout près de son épouse engloutie dans les vagues du sommeil. Le corps tout chaud, au contact du sien frais, le laissa indifférent. Il faillit même s’énerver. Il recula et avant de s’endormir, repensa, émoustillé, à cette merveilleuse soirée.

 
III
Le lendemain, un vendredi, il arriva dès six heures au bureau très folâtre et travailla d’un bel entrain. Il taquinait tout le monde. On ne l’avait vu autant joyeux. D’ordinaire, il s’enfermait dans son bureau, répondait au téléphone et ne mettait le nez dehors que pour se dégourdir les jambes. Il ne supportait pas les retards dans les délais, mais ce jour, la secrétaire fut surprise qu’il accorde trois jours supplémentaires à un enseignant pour un rapport qui devait être rendu deux jours plus tôt. Mat exerçait comme directeur d’un collège privé d’enseignement technique. S’il est une chose qu’on pouvait lui reprocher, c’est de concentrer le pouvoir et de ne pas développer la participation.
Il passa toute la journée dans une excitation adolescente attendant son appel. A dix-huit heures, assis encore au bureau à buller devant son ordinateur, il écoutait en boucle Elle a les yeux revolver de Marc Lavoine, trépignant d’impatience que les aiguilles de sa montre fussent percluses, tellement le temps n’avançait pas. Elle lui avait dit : « demain je m’offre à toi. Je t’appellerai ». La journée s’était écoulée lentement. A vingt heures il n’avait toujours pas quitté son bureau. Il sursautait à chaque appel. Aucun, cependant, ne provint d’elle. Il se donna trente minutes puis l’appela. Elle répondit qu’elle se trouvait encore à l’université à préparer ses examens du samedi et qu’elle lui ferait signe dès qu’elle aurait fini. Il pourrait même venir la chercher.
Il parcourut les dernières pages d’un document sur l’élaboration d’un projet d’établissement qu’il lisait sans véritablement rien comprendre, ferma son bureau et partit. Il s’attabla au Las Vegas, le bar où il l’invita la première fois et commanda une bière, attendant son appel.
Trois filles habillées tendance, des étudiantes assurément, et trois hommes occupaient la table voisine. La discussion basse s’éleva entre-temps et il put distinctement écouter ce qui se disait. L’une des filles, plus volubile ou plus indignée que les autres, vitupérait contre l’inconstance des hommes. Elle leur reprochait d’abandonner leurs épouses à la maison et de courir après la chair fraîche. Elle conclut sentencieusement qu’elle ne succomberait pas elle, à un péché si odieux. Un homme lui demanda calmement ce qu’elle faisait là ce coir avec son Jeb. Elle répondit que, accepter une invitation ne signifie pas accepter les avances d’un homme. Le même homme reprit qu’une fille qui accepte son invitation à lui, finit dans le lit le même soir. Les autres s’esclaffèrent de rire et le gratifièrent d’un « Bob » louangeur. Le voisin immédiat de la jeune fille volubile rassura qu’elle aussi finira dans le lit avec lui.
Mat se dit que le sujet méritait quand même qu’on y réfléchisse. Les filles paraissaient de plus en plus belles et de plus en plus nombreuses. Les hommes devraient-ils se contenter de les lorgner de leur périscope de vertueux sans oser les toucher ? Au nom de quoi un homme marié ne peut-il tomber amoureux d’une fille, s’il succombe à son charme ? La question était-elle morale, religieuse ou culturelle ? Si pour se sentir heureux, un époux devrait avoir une relation extraconjugale avec une jeune fille, son épouse le lui concéderait-elle ? De même un époux accepterait-il que son épouse soit heureuse avec un autre homme tout en vivant au foyer ? Il s’énervait déjà en imaginant sa femme avec un autre homme. Il se dit qu’il y penserait une autre fois. Tant que sa conscience ne le culpabilise pas dans ce commerce, il continuerait. La vie est si dure à vivre ; trop de colère à résorber. Le reste est hypocrisie et menterie.
A vingt-deux heures, Ida n’avait toujours pas appelé. Il composa son numéro. Il sonna en vain. Il reprit cinq minutes plus tard. Sans succès : elle ne décrochait pas. Minuit le retrouva le bec trempé. Il reprit les appels. Cette fois-ci, le téléphone sonna et à la troisième sonnerie, elle coupa. Il relança et elle coupa l’appel à la seconde sonnerie. Puis, elle éteignit certainement son portable puisqu’il ne put plus établir de connexion avec elle. A une heure, dernier client, il somnolait. Ses voisins s’étaient en allés, chacun avec une fille sur leur moto. Il régla l’addition et s’en alla sifflotant cet air de Joe Dassin pour noyer son chagrin :
« Je l’ai vue près d’un laurier elle gardait ses blanches brebis,
quand j’ai demandé d’où venait sa peau fraiche elle m’a dit,
c’est d’rouler dans la rosée qui rend les bergères jolies!!
mais quand j’ai dit qu’avec elle je voudrais y rouler aussi
Elle ma diiiiit ….
elle ma dit d’aller siffler là haut sur la colline, de l’attendre avec un petit bouquet d’églantines.
j’ai cueilli les fleurs et j’ai siffler tant que j’ai pu j’ai attendu attendu elle n’est jamais venue

zaï zaï zaï ….
zaï zaï zaï ….

zaï zaï zaï ….
zaï zaï zaï …. »
Avant de se coucher, il lui envoya un court texto : « Pourquoi, Ida ? Pourquoi ? »
Il n’obtint aucune réponse. Il s’endormit plein de dépit et d’incompréhension. La journée de samedi s’écoula sans qu’elle ne lui fît un signe. De son côté, il se fit violence et ne l’appela pas.

* * *
Le jour suivant fut un dimanche. D’ordinaire, son épouse va à l’église avec les trois enfants, lui va jouer au ballon dans un club de séniors. Dieu ne le préoccupait pas. Il répétait autour de lui que Dieu était son voisin de dos qu’il importait de ne pas bousculer.
Le jeu finit souvent entre neuf heures et dix heures. Il hésita à l’appeler. Quelle fascination cette fille exerçait-elle sur lui ? Il s’en était toqué sans laisser un quartier de bon sens qui le ramène à la raison à ses moments d’égarement. Il ne put se retenir. Alors qu’il composait son numéro, il se rappela son amour de collégien avec Viviane. Il avait dix-sept ans et en fut éperdument épris. Tous les deux pouvaient rester à deviser des heures et des heures. A l’époque, il ne supportait pas que Viviane fût loin de lui, qu’il ne la vît pas lorsqu’il le désirait. La savoir loin, était cruel. Il souhaitait sa présence continuelle à ses côtés. Etait-ce cela l’amour ? Il revivait les mêmes sentiments avec Ida. A l’époque, il était célibataire et il ne se fut même pas agi de sexe entre eux. Aujourd’hui il a fondé une famille et ses rapports avec les femmes, s’ils ne sont pas professionnels ou commerciaux, cachent mal leurs intentions charnelles. Et la présence de cette fille lui manquait cruellement. Quel sortilège le déstabilisait ainsi ? Le souvenir de cette fille le plongeait dans un certain émoi. Il la voulait tout près de lui. Continuellement. S’il le put… qu’aurait-il fait ? L’épouser ? S’installer dans une bigamie ? Il n’en était pas là. Il voulait la voir. Lui parler. La regarder lui sourire, renfrogner la mine ou le fixer de ses petits yeux pendant qu’il lui parlerait.
Lorsqu’elle décrocha à la septième sonnerie, elle s’empressa de présenter ses excuses. Il ne voulut pas comprendre pourquoi elle l’avait planté. Il accepta les excuses et l’invita à manger des boulettes de pâte cuite à base la farine de maïs qu’on appelle « Con », rien à voir avec le mot français. Il alla la chercher. Sa copine Bernice y avait dormi et n’était pas encore rentrée. Mat les invita toutes les deux. Ida refusa que Bernice vienne, lui expliquant qu’elle voudrait rester seule avec son amoureux. Bernice que la compagnie de Mat enthousiasmait dut céder, visiblement à contrecœur.
Ils convinrent d’une ballade à Sandougou, une ville aéroportuaire à cinquante-cinq kilomètres au nord de Monkeyhills, et il revint la chercher vers dix-sept heures. Une fois dans la voiture, elle s’emporta qu’il l’oblige à mettre la ceinture. Il ne pouvait souffrir de la voir en colère ou mécontente. Il déboucla la ceinture qu’elle venait de mettre revêche. Elle lui sourit, le sourire d’une enfant gâtée dont un caprice vient d’être réalisé.
A Sandougou, ils se promenèrent au marché. Elle acheta des mangues et de la morelle, du gombo et du piment vert. Il apprit qu’elle y était née, alors que son père, un gendarme, se trouvait en stage en France. Aujourd’hui il est adjudant-chef et dirige la brigade de Bédila, une ville à 321 kilomètres au nord de Monkeyhills. Ils se rendirent ensuite à la cantine de l’aéroport. Ils se firent servir deux bières et des brochettes de viande de bœuf. Mat avait pris son portable et ils y pianotèrent faisant des recherches dans Encarta, écoutant la musique. Il lui fit écouter la country music de Don Williams, musique qu’il dit adorer entre toutes. Comme la batterie perdait de son régime, ils arrêtèrent l’ordinateur et s’occupèrent à s’embrasser.
Lorsqu’elle remonta dans la voiture pour le retour, elle l’embrassa et lui dit : « Mat, tu me rends vraiment heureuse. Merci. » Puis elle s’endormit sur tout le trajet et fut surprise lorsqu’il la réveilla devant chez elle.
– Tu permets que je vienne t’embrasser chez toi ?
– Bien sûr, accepta-t-elle, en traînant sur le « sûr ».
Ils déchargèrent les légumes, les mangues et Mat les porta dans sa chambre. Il y entrait pour la deuxième fois. La première qu’elle l’y avait accueilli, il s’y trouvait un jeune homme. Mat et lui s’étaient rencontrés dans les circuits culturels. Plus tard elle lui avoua que le jeune homme, étudiant en mathématiques et sciences appliquées, avait été son petit ami. Mais un jour, ayant réalisé tous les deux qu’il ne s’était jamais s’agi d’amour entre eux, décidèrent de rester « amis ». Le jeune homme, Fred, lui rendait visite régulièrement.
Elle avoua surtout que Fred était justement celui qui lui révéla ses prouesses de coureur de jupons. Cela ébranla profondément Mat. D’ailleurs, Fred aussi convenait que Mat avait du bagout, il conseilla à Ida la prudence. « Il m’a dit, conclut-elle : Méfie-toi. Que se passera-t-il lorsqu’il aura couché avec toi ? Une fois ? Deux fois ? Tu crois qu’il t’appellera encore ? Qu’il t’invitera à manger au Nirvana Hotel ? Détrompe-toi, ma chère : ces mecs mariés je les connais. Ils vampirisent votre jeunesse. Tu es avertie. ».
Deux ou trois rencontres à des soirées culturelles, avaient-elles suffi pour que l’étudiant le connût autant ? D’autant plus qu’il n’est sorti avec aucune étudiante, qui plus est, du monde culturel. Il avait essayé avec une, fille d’un colonel, trop fière d’elle-même. Narcissique à torcher son cul avec une bulle papale, à mépriser présidents et milliardaires. Ils ont juste partagé un verre et l’aventure n’était pas allée plus loin. Ce jour elle commanda une pizza et, la mangeant, la compara aux pizzas qu’elle adore manger dans les Mac Do en France. Elle l’irritait et il éluda toutes les autres rencontres qu’elle sollicita. Elle lui envoya un mail un an après leur rencontre : « je suis enceinte. Et tu es loin d’imaginer où on m’a fait l’amour : dans mon lit d’hôpital. J’étais malade et Brian m’a rendue visite. » Pourquoi lui avait-elle envoyé ce mail ? Elle ignorait certainement qu’elle ne valait plus rien pour lui et qu’on aurait pu lui faire l’amour dans sa tombe ou à la morgue, il n’en avait cure.
– Si j’avais tenu compte de tout cela, je n’aurais pas accepté, finit-elle par dire, lui caressant la joue.
– Merci de me faire confiance.
Pendant qu’il vidait les sachets plastiques de leur contenu, Ida se déshabilla et resta en t-shirt et minuscule slip noir à dentelles blanches. Les perles qu’il lui avait offertes quelques jours plus tôt, traînaient encore dans une chaise en plastique. Elle les essaya et dit qu’elle ne supportait pas de porter les perles, mais qu’elle les porterait spécialement pour lui. Il bredouilla un merci. Elle abandonna les perles et vint le tirer de son tabouret pour un câlin. En lui prenant la main, il serra fort les doigts et réveilla une douleur à son auriculaire droit qu’elle avait fait coincer par la portière de la voiture la semaine précédente. Il s’excusa. « Il n’y a plus de câlin, dit-elle, la réprimande dans le ton. Fini ! ».

Il se rassit. Elle allait et venait dans un déhanchement aguicheur. Mat, bouleversé, intimidé, l’observait. On n’abîme pas ce qui est précieux. Il la respectait tellement ; il ne voulut pas lui dire, sans la brusquer, qu’elle le troublait. Il ignorait comment elle réagirait. S’il s’écoutait, il aurait bondi sur elle, lui aurait retiré son minuscule slip et aurait libéré le bâton de sourcier qui ne cessait ces brusques ascensions dans son pantalon comme s’il avait repéré une importante nappe d’eau.

Plus tôt à Sandougou, elle lui avait demandé où ils feraient l’amour s’ils se décidaient à le faire. Elle supplia que ce ne fût pas chez elle. L’imam a béni sa chambre et elle y dit toutes ses prières. Il s’engagea mais expliqua que ces choses arrivent souvent de façon impromptue, quand les sens s’enflamment et s’emballent.

Elle alla à sa couchette, puis revint se planter au milieu de la pièce. Ils ne se disaient rien. Ida considérait les ongles de ses doigts. Mat restait assis. Il soufflait dans cette chambre un air de qui fera le premier le pas. Il se leva, fit un pas vers elle, lui prit les deux mains et l’attira à elle faisant attention à son auriculaire. Les bouches se joignirent dans un baiser dont la volupté irradia leur corps. Elle ondula son pubis. Il ressentit un vertige. Les souffles devinrent saccadés. Ainsi soudés, ils dandinèrent jusqu’à sa table d’étude.

Rien ne les arrêta.

Lorsqu’il retourna s’asseoir sur le tabouret, il la surprit à le regarder intensément avec un brin de réprobation. Le regard semblait indiquer que quelque chose venait de se briser entre eux. Il eut la désagréable certitude que plus rien ne sera comme avant, que les jours à venir seront corsés, comme cet acte venait de rompre un charme ou de mettre fin à la magie du philtre qui créait en chacun, un pôle d’attraction pour l’autre. Convaincu qu’ils avaient tous céder aux sirènes des sens, il voulut néanmoins se la jouer coupable et porter seul la responsabilité. Il lui présenta ses excuses. Il ne savait pas ce qui l’avait pris. Il était navré. Il n’avait pas souhaité que cette première fois se passât de cette façon-là.

–  Pourtant tu avais promis ; tu avais promis qu’on ne le ferait pas chez moi, pas plus tard que ce soir, dit-elle, apathique.

Il se tut. Au fond de lui, il se disait qu’il n’y avait pas matière à chicane. Il ne comprenait pas pourquoi elle tenait tant à ce qu’ils ne fissent pas l’amour chez elle. La superstition : l’imam lui aurait-il dit qu’elle échouerait à ses examens si un homme l’honorait dans sa chambre ? Y avait-il un talisman dont l’interdit était le sexe ? Venait-elle d’enfreindre cette interdiction ? Et où ? Sur sa table d’étude. Plus grave ? Il la considéra un moment essayant de deviner le fil de sa pensée. Elle restait toujours debout. Il prit congé, confus et honteux.

Pourquoi éprouvait-il ce sentiment de honte et de désolation ? L’avait-il violée ? Ce n’est pas l’impression qu’il eut. Peut-être avait-il joué sur sa faiblesse ? Quelle faiblesse ? Si elle ne voulait pas, n’était-elle pas plus forte que lui qui la désirait ? Le faible alors, c’était lui. Il avait espéré que la première fois se passerait dans un cadre propice et de manière confortable. Mais une union à la sauvette ! Il savait pourtant qu’en reprenant toute la scène de la chambre au début avec un « si elle n’avait pas… », la soirée aurait été autre.

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