Un charme d’écureuil (Dernier extait)

12 décembre 2014

Un charme d’écureuil (Dernier extait)

Le restaurant du Sheraton empli d’inaudibles bruissements, comptait à peine une dizaine de convives, des amis triés sur services rendus à El-Hadji Idriss.

Des serveuses d’un traiteur s’activaient autour des grosses bassines dégageant divers fumets d’ail, d’huile, d’oignon, de gingembre, de persil, de piments verts, de viande cuite de mouton et de bœuf. El-Hadji Idriss se leva, rendit grâce à Allah le miséricordieux qui, dans son infinie bonté, les a conduits à une nouvelle année puis souhaita une bonne fête à tous. Il ajouta que chacun restait libre de ses goûts. Ce n’était pas parce que sa religion interdit l’alcool que lui l’interdirait à ses hôtes si dans leur religion à eux, l’alcool ne constituait pas un interdit. On fit circuler des bouteilles de liqueurs et de vin. Mat se servit une bonne rasade d’un Johnny Walker avant de confisquer un Mouton Cadet entier à lui tout seul. Les convives musulmans se contentèrent de sodas.

On servit une soupe où nageaient des tranches de carottes, de choux, de poivron et des morceaux de boyaux, qu’ils accompagnèrent de pain. A peine eurent-ils fini que les serveuses déposèrent dans chaque plat, une pintade entière et des frites. Le restaurant s’anima un peu plus d’éclats de voix et de rires tonitruants. On plaisantait. on riait. La bière avait succédé au vin. Des mains se baladèrent sur les poitrines et les derrières des serveuses qui, sans s’offusquer, semblaient en redemander. Ceux qui finirent leur plat de frites et de pintade se virent servis un pigeon rôti accompagné du petit piment rouge moulu finement pour agrémenter.

Il allait être quinze heures. El-Hadji Idriss se retira. Il avait à recevoir chez lui. Il leur demanda de ne pas lésiner sur leur soif, de ne pas tenir compte de la note, de ne faire que fêter. Les convives musulmans se retirèrent avec lui et il n’en resta que six à boire et à continuer de manger. Ils réclamèrent la musique pour danser et on transporta une enceinte jusqu’au restaurant. Le cadre ne s’y prêtait vraiment pas. Ils exigèrent que l’hôtel ouvrît sa boite. Le directeur présenta les conditions d’ouverture au montant exorbitant. Ils le rabrouèrent et continuèrent par danser au restaurant. Certains invitèrent par téléphone des jeunes filles, leur maîtresse assurément. Les filles invitèrent leurs copines. Le restaurant se remplit finalement de dix-huit personnes, six hommes et douze filles. Mat voulut inviter Ida mais se souvint qu’elle se trouvait à Chairville. Il l’appela. Son téléphone n’était pas connecté. Il essaya une deuxième fois. Sans succès.  Il alla s’asseoir un verre à la main et regarda les autres se trémousser aux différents rythmes qui se succédaient.

Son téléphone sonna. Karim. Il quitta le restaurant et s’éloigna du bruit avant de répondre enthousiaste.

–  Que la paix d’Allah soit sur toi et toute ta famille, mon ami !

–  Amen, répondit Karim. Il ne lui laissa pas le temps de placer un mot et enchaîna. Je n’ai pas une bonne nouvelle pour toi. Ta copine…

–   Tu la surprises avec un autre homme ?

–   Non, ce n’est pas ça !

–  Alors c’est toi-même ? Elle te plaît ma copine ? Je savais que vous de Chairville vous n’avez aucun scrupule à dévoyer les copines de vos meilleurs amis.

–   Tu peux te calmer un moment et m’écouter, Mat ?

–   Me calmer ? Tu veux que je me calme ? Après tout ce que tu me fais ?

Il raccrocha. Karim relança l’appel. Mat laissa sonner jusqu’à la fin. Quelque temps après il reçut un texto de Karim, hésita mais finit par le lire : « Ce n’est pas ce que tu penses. Ce matin ta copine et son père ont eu un accident. Si tu veux la voir une dernière fois, arrive avant 16 heures. »

Le portable lui échappa des mains et s’écrasa sur le plancher carrelé du restaurant, sous les pas des danseurs. Une semelle qui traîna par là, brisa l’écran avant qu’un talon aiguille ne le perce. Il le récupéra fébrilement. Le message tambourinait dans sa tête dissipant l’alcool qu’il avait bu. Il demanda un portable, remplaça le kit et relut plusieurs fois le message. Il rejeta l’évidence de la dernière phrase : « Si tu veux la voir une dernière fois, arrive avant 16 heures ». Il appela Karim. Celui-ci lui dit qu’ils se préparaient pour le cimetière et qu’en se dépêchant, Mat arriverait à temps. Les rites funéraires musulmans ne traînent pas. Karim savait seulement qu’ils ont été écrasés par un camion-remorque dans la voiture de son père. Toute la famille aurait péri : les parents et les enfants, Ida y compris. Avant de raccrocher, il lui dit : j’arrive.

Il retourna le portable au propriétaire, jeta le kit dans la poche intérieure de sa veste et quitta penaud le restaurant, sans rien dire à personne. Dehors, il monta dans sa voiture et, maudissant la cruauté du sort, partit pour Chairville.

 

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Blandine, bouleversée, se précipita, pleine d’appréhension, au centre hospitalier universitaire de Monkeyhills. Le coup de fil anonyme qu’elle reçut quelques minutes plus tôt, s’était assuré qu’il s’agissait bien de madame Hombaley Mat avant de lui enjoindre poliment d’arriver au centre hospitalier, toute affaire cessante. Un infirmier l’accueillit et la conduisit dans une salle privée, la même où quelques semaines plus tôt, on hospitalisa Baymate. Il ouvrit la porte, s’approcha du lit et tira le drap blanc qui recouvrait un corps et s’écarta pour la laisser entrer.

Dans le lit, était couché un homme. Le visage tuméfié le rendait méconnaissable. Cependant, Blandine reconnut son homme : il portait encore le costume qu’il mit la veille, la cravate bleu pétrole sur une chemise blanche à petits carreaux rouges, jaunes, bleus et violets. A l’exception des chaussures qu’il ne portait plus, il s’agissait bien de lui, Mat, son époux. Il n’était pas rentré la veille et elle ne s’était pas alarmée. Il lui avait dit : donne-moi un peu de temps.

Elle fit deux pas vers le lit. Elle considéra le corps étendu essayant de comprendre. Elle se pencha sur lui, se demandant si un souffle de vie l’habitait encore. Blandine découvrit alors une fine coulée de sang séché du front jusqu’au menton. Du sang maculait également sa chemise au niveau de la poitrine. Elle le secoua sans obtenir un quelconque signe de vie. Elle le secoua encore plus fort, répétant son nom.

Un médecin entra. Il était suivi de l’infirmier, d’un anesthésiste et d’un brancardier. Blandine ne les remarqua pas.

–          Vous êtes… ?

Elle traîna à répondre mais finit quand même par dire :

–  Son épouse. Qu’est-ce qu’il a eu, docteur ? Pourquoi ne me répond-il pas ? Docteur, dites quelque chose !

–  Emportez-le, dit-il aux autres puis se tournant vers elle, ajouta : venez avec moi, je vais vous expliquer.

On déplaça Mat du lit au brancard et la cabine se vida. Blandine sortit derrière eux dans le couloir et les regarda pousser le brancard portant Mat, elle ne sut vers où. Elle baissa la tête, paralysée par l’incompréhension. Elle regarda une fois encore le brancard qui disparut dans un autre couloir puis éclata de rire. Ce qui semblait un rire se transforma aussitôt en pleurs. Elle se jeta à même le carreau du couloir ; son pagne lui tomba de la hanche dévoilant un collant noir s’arrêtant à mi-hauteur des cuisses et trois rangées de perles blanches à la hanche. Effondrée contre un mur, la bouche grandement ouverte et dans des mouvements saccadés de flexion et d’extension des jambes, Blandine pleurait sans gêne. Certaines larmes finissaient dans la bouche tandis que d’autres terminaient leur cours sur sa chemisette beige. Les portes des salles d’hospitalisation s’ouvrirent et bientôt le couloir s’emplit de visages noirs, ahuris, figés dans la contemplation d’un spectacle de geignements alternés de pleurs. Indéniablement cette femme pleurait un être cher, un enfant, un mari, un cher parent. Le médecin revint l’entourer affectueusement de son bras et l’entraîna vers les bureaux. L’amour qui pleurait s’éloigna, puis le couloir se vida de ses regards hébétés.

Elle croisa sans la connaître Ida qui courait aussi aux nouvelles. Jamais elles ne sont vues. Blandine ignorait l’existence de Ida. Sans l’avoir connue, Ida savait qu’elle partageait un homme avec une femme. Mais en voyant cette femme affligée en collant, un pagne jeté sur l’épaule, pleurant d’énormes larmes comme si ses yeux fussent fondus, cette femme qu’un médecin évidemment tentait de consoler, Ida devina qu’il s’agissait belle et bien de madame Mat. Mat lui avait dit un jour, parlant de Blandine : elle a des yeux blancs et un teint noir brillant. Elle marqua un arrêt, se retourna pour regarder la femme qui traînait le pas aux côtés du médecin.

Pourquoi le sort s’acharnait-il ainsi sur elle ? Pourquoi en moins de 24 heures, fallait-il qu’elle pleurât son père et sa jeune sœur ? Pourquoi le destin lui avait-il pris son Mat alors qu’il se rendait à son faux enterrement à elle ? En revenant de Chairville ce lundi matin, elle avait vu l’épave de la Benz encastrée dans le tronc immense d’un teck à une vingtaine de kilomètres de Monkeyhills. Son bus avait marqué un arrêt et les gens racontaient que la gendarmerie avait eu recours aux soudeurs pour sortir le corps. Elle s’était mise à pleurer et les autres passagers la trouvèrent top émotive. Une bonne dame avec une incisive en or, l’opulence tapageuse des Azias, la consola d’un « il aurait bu. Ces infidèles boivent trop, ma fille. C’est la punition divine. » Ida posa sur elle un regard assassin. La bonne dame se tassa sur son siège.

 

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Revenu à Chairville pour l’Aïd-el-kébir, son père ne pouvait manquer de respect au commissaire en ne se rendant pas à son invitation. Ida se devait d’être en vie grâce au feuilleton brésilien que la chaîne première passait. Elle avait préféré le feuilleton à l’invitation et son père s’y rendait avec sa jeune sœur, Kadira, qui venait d’avoir le baccalauréat, lorsqu’ils furent écrasés par un camion-remorque lourdement chargé et dont le système de freinage avait foiré.

Son téléphone n’avait alors cessé de sonner; on voulait s’assurer qu’elle était bien vivante ou bien morte. Quelle indécence tout de même ! Comment aurait-elle pu répondre si elle avait été tuée dans l’accident ? Elle ne répondait à personne. Semant davantage de troubles. Sauf bien entendu à Bernice qui lui annonça l’accident de Mat. Toute la ville en parlait d’effroi. Aussi, dès que sa cour se fut vidée ce matin, elle quitta Chairville et radina au CHU de Monkeyhills.

Elle regarda encore Blandine et le médecin prendre un autre couloir. Elle se mit à pleurer moins ostensiblement et, en se caressant le ventre, leur emboita le pas. Elle courut presque après eux. Aura-t-elle la force de lui dire, à cette femme, qu’elle portait un enfant de Mat ? Qu’il était parti sans le savoir ?

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Commentaires

AGBODJINOU Bernice
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Passionnante comme histoire,sauf qu'elle nous laisse sur notre soif,Mat ne peux pas mourir comme cela.Trop courte je trouve!

tingayama
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Mat n'a de destin que celui que lui offre celui qui écrit l'histoire. il a un destin de papier.
Histoire trop courte? c'est que l'auteur a un cerveau court (mdr).