Un charme d’écureuil (Extrait III)

28 novembre 2014

Un charme d’écureuil (Extrait III)

En rentrant chez lui cette nuit, il réfléchit, revivant toute la soirée sans parvenir à situer l’origine du malaise. Etait-il assez idiot pour ne pas le savoir ? Assez insensible pour n’avoir pas vu le désastre arriver sur son char de sensualité ?

Une fois rentré, il lui envoya un texto : « Suis bien arrivé, Ida. Sorry for what happens tonight. I’m very confused and I feel so bad. I hope you could forgive me. Have a sweet night, I love you so much ».

Il n’obtint aucune réponse et eut du mal à s’endormir.

Lundi, ils échangèrent juste un bonjour au téléphone. Elle refusa de le voir.

Mardi, elle resta inaccessible.

Mercredi, elle resta inaccessible.

Là, il n’en put plus. Ils avaient convenu qu’il l’appellerait avant de se rendre chez elle. A présent qu’elle était injoignable ?

En quittant le bureau autour de vingt-et-une heure ce mercredi soir, il brava la convention et se rendit directement chez elle. Il heurta timidement à la porte. Elle vint ouvrir et fut surprise de le voir là. Son visage qui semblait tantôt joyeux devint inexpressif. Elle lui demanda d’attendre un moment dehors, elle balayait. Il répondit que cela ne le gênait pas. Elle tira le rideau et il y entra. Elle dégagea quelques livres sur une chaise et il s’y assit petitement d’une fesse. Elle finit de balayer, prit une douche, se voila, dit sa prière silencieusement sur un tapis, et se mit à table pour étudier, le voile toujours sur la tête. Elle se comportait comme s’il n’avait pas existé dans cet espace de trois mètres sur cinq, un garage transformé en chambre à coucher. Que ne feraient les propriétaires pour gagner de l’argent. L’ouverture de l’université quelques années plus tôt dans cette ville avait fait exploser le marché du logement.

Il lui demanda si son portable avait une panne. Elle répondit que non. Comment se fait-il qu’elle était injoignable ? Elle avait changé de numéro. Pour un temps. Pourquoi ne le lui avoir pas dit ?

– J’ignorais que je vous dois des comptes.

– Vous ? Depuis quand suis-je redevenu « vous » ?

Elle ne répondit pas.

– Pourquoi cet éloignement soudain ? Je peux avoir cet autre numéro ?

– Pourquoi pas ?

Elle s’assit convenablement à sa table et se mit à lire.

– On peut discuter un moment ?

– Vous voyez, monsieur, si vous comptez me dire des choses qui vont me bouleverser, je vous prie de vous en aller et de me laisser apprendre.

– Ecoute au moins ce que je veux dire.

– Il serait sage pour vous de partir de cette chambre, et sur le champ.

– Vous m’expulsez alors ?

– Soit, dites ce que vous avez à dire et foutez le camp.

– Madame, je vous remercie. Et bonne nuit.

Il se leva, n’eut pas le courage de secouer honteusement la poussière de ses fesses et s’en alla sans avoir obtenu le nouveau numéro. Lorsqu’il démarra sa voiture en trombe sans savoir où il allait, il était furieux contre lui-même sans toutefois réaliser ce qui lui arrivait. Il fulminait de désespoir. Il ne pouvait concevoir que cette idylle si douce, née d’une tornade de volupté, prit fin, ainsi l’eau usée d’une ménagère versée sur du sable.

 

 

IV

 

Lorsqu’il revint à Monkeyhills, il se rendit directement au jardin public comme à un pèlerinage et s’assit à l’endroit où tous les deux s’assirent quelques jours plus tôt. Il ferma les yeux et il sembla distinguer sa présence tout près. Il les rouvrit et ne vit personne. Il se leva et fit quelques pas. S’arrêta devant la bande de gazon envahie par les herbes sauvages où, en la tenant par la taille, il l’initiait à l’écoute du silence et du souffle des herbes. L’endroit était encore empli de sa présence, de ses rires et de ses tournoiements. En se disant qu’un soir, un autre rêveur l’amènera ici, et qu’à lui, elle racontera dans sa version à elle, cette soirée où elle lui dit être vraiment heureuse à ses côtés, la rage le fit tressaillir. Il voulut fuir de cet endroit, cependant il la sentait si présente, malgré son absence physique. C’était cela le paradoxe des chagrins d’amour : s’éloigner le plus près possible de l’être qui chagrine, soupirant continuellement qu’il restât si loin.

« Plaisir d’amour ne dure qu’un moment

Chagrin d’amour dure toute la vie », dit la chanson. La taille du chagrin est fonction de ces plaisirs.

Son chagrin à lui, durera combien de vies ?

Rentré chez lui, il griffonna quelques mots dans un bloc-notes qu’il traînait partout avec lui :

J’ai le cerveau sous l’emprise de mes sens, forcément, il reste encore sous l’emprise de ton corps. Ida, si tu jouais à m’embrasser, je m’abandonnais à t’aimer entier. Si tu feignais te sentir heureuse auprès de moi, je vivais moi des moments magiques.

« Les hommes mariés ne te conviennent pas ? Je ne polémique pas sur les non-dits moraux et culturels. Mais il est criminel de jouer avec les sentiments des autres. Nous portons tous nos cercueils dans  nos cœurs. »

 

 

 

V

Trois semaines plus tard, des semaines d’intense chagrin et d’humeur rageuse, Bernice chercha à le rencontrer. Il la retrouva vers vingt heures au Nirvana Hotel. Elle l’attendait, assise à la table où il s’assit, lui, un mois plus tôt, en compagnie d’Ida. Lorsqu’elle le vit, Bernice se leva, vint au-devant de lui. Elle se hissa sur la pointe des pieds et lui colla sur la joue, une bise de ses fines lèvres. Bernice était plus courte, plus fluette qu’Ida, avec un regard qui cachait à peine sa charge de sensualité. Toutes les fois qu’il l’a surprise à le regarder, son regard diffusait cette sensualité torride, débordante et  attractive. Il fallait faire violence sur soi pour échapper à l’ensorcèlement de ce regard. Elle lui dit, le tirant après elle, qu’ils discuteraient mieux ailleurs. Elle quitta le restaurant, curieusement vide à cette heure, et se dirigea vers les bâtiments des dortoirs. Elle ouvrit la porte d’une chambre et l’y entraîna. Il hésita sur le pas de la porte mais finit par y entrer. La chambre était simplement meublée : un vaste lit bas, un bureau dérisoire, un poste téléviseur. Il resta debout un moment, indécis, se demandant ce qu’elle lui voulait. Elle s’assit sur l’unique chaise de bureau et lui indiqua le lit. Dès qu’il s’assit, elle rompit le silence.

–  Je t’intrigue, n’est-ce pas ? Tu te demandes ce que je te cherche. Je vais droit au but : Ida m’a tout raconté. Vous n’êtes plus ensemble. Elle t’a envoyé paître, n’est-ce pas ?

Il ne dit rien. Il la fixait juste des yeux. Il se souvint de ce soir où Ida lui dit que Bernice sortirait volontiers avec lui, si elle, Ida, se refusait à lui. Ainsi, elle avait attendu tranquillement son tour. Dès à présent que le feu de l’idylle entre Ida et lui a expiré, elle pouvait surgir de sa coulisse et jouer sa partition.

Elle se leva et vint s’asseoir sur le lit, tout près de lui. Il ne frémit même pas malgré sensation agréable au contact de ce petit corps.

–  Je l’avais prévenue, mais elle ne m’a pas prise au sérieux. Moi, je suis entièrement disponible. Je ne te ferai pas morfler. Prends-moi quand tu veux, comme tu veux. Je suis ton objet. D’ailleurs, elle sait qu’en ce moment, je suis ici avec toi.

–  Qu’est-ce qu’elle a dit ?

–  Elle s’en fout. Tu ne l’intéresses plus.

Un silence déculpabilisé s’installa entre eux. Ils étaient là. Se regardaient, communiquant leur désir de se tomber dans les bras, de se dévêtir et de se posséder dans un galop des sens.

Comme il ne réagissait pas, elle se leva et s’assit sur ses cuisses à califourchon. Sa courte robe de tissu imprimé remonta jusqu’à la naissance des cuisses. Elle fit descendre le zip de sa robe, secoua les épaules et en fit tomber les bretelles. Des minuscules seins fermes jaillirent sous le regard médusé de Mat.

Dès cet instant, Mat n’eut aucune autre envie que de la prendre, là, violement. Il ne sentit aucune frontière morale, aucune réprobation. Elle s’offrait à lui. Il la prendrait. Il se vengerait ainsi des frustrations vécues avec Ida. Il se vengerait de la fille du colonel qui a eu la lumineuse inspiration de se faire engrosser dans un lit d’hôpital, de toutes ces filles qui l’ont éconduit. Il vengerait tous les hommes du mépris et de l’insolence des femmes qui croient qu’avec leur sexe, les curés peuvent se parjurer. Pourquoi d’ailleurs refuserait-il une offre pareille ? Coucher avec Bernice, la meilleure copine et confidente d’Ida, ne se posa plus à lui en bien ou en mal. Du reste, elles n’étaient que copines et pas sœurs. Le fussent-elles qu’il s’encombrerait de moral ? Sa raison s’embrouillait, s’embrumait de volupté.

–  Je ne te plais pas, demanda-t-elle boudeuse ?

–  Arrête, s’il te plaît !

–  Que se passe-t-il, se plaignit-elle ?

–  Tu ne peux pas comprendre.

–  Qu’est-ce que je ne peux pas comprendre ?

Elle sanglotait à attendrir n’importe quel sicaire.

–  Tu vois, cette fille, elle peut me mépriser autant qu’elle veut. Je l’aurai toujours dans la peau. »

–  Je dis qu’elle te déteste.

–  Elle le fait juste.

–  Je la maudis ! Je la maudis ! La malheureuse ! Elle t’a largué et moi, je ne peux pas sortir avec toi, quoique je t’aime. Elle détruit tous ceux qu’elle aime. La maudite ! Je ne le lui pardonnerai jamais d’avoir rendu impossible notre relation.

Mat descendit du lit et entreprit d’ouvrir la porte. Il considéra un moment Bernice secouée de sanglots, étendue sur le ventre, le petit corps de fillette à peine pubère.

Il se surprit à penser au supplice de Tantale : voir sans toucher, désirer sans posséder.

–  Je souhaiterais que tu me comprennes : je ne peux pas faire ça. J’ai pour elle des sentiments si purs, si ardents que je ne m’autoriserai leur trahison. Je succombe à son charme même en son absence et malgré son mépris. Absente, elle continue de me regarder. Je voudrais garder intact, le regard de son absence. Ida exerce sur moi une telle fascination, un tel envoûtement qu’honorer mon épouse, me paraît la trahir.  Tu n’as pas idée des efforts que je fais pour te résister. Je suis désolé. Je dois partir. Je te souhaite de passée une douce nuit.

Il ouvrit la porte. Il lui sembla distinguer des sanglots de l’autre côté du mur. Mais les larmoiements se firent plus insistants et rapprochés. En y prêtant plus attention, il devint presque certain que les sanglots provenaient de la douche. Il considéra Bernice interrogateur. Elle haussa les épaules amusée. Les sanglots continuèrent de plus belle. Son regard allait de Bernice à la porte close de la salle de bain. Bernice enjouée, riait. Curieuse métamorphose : passer des sanglots au rire ! Un éclair traversa son esprit et il se précipita vers la porte qu’il ouvrit.

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