Please, we need quiet!

20 mai 2016

Please, we need quiet!

Campus Plage. Un bar-restaurant derrière les arbres, entre l’Université de Lomé et le Village du Bénin. Quelques tables sont occupées. Des anglophones. La rue qui sépare Campus Plage d’un terrain de foot, grouille de jeunes filles de toutes les tailles, de toutes les rondeurs ; certaines vêtues jusqu’à l’indécence.  Non loin du terrain de foot, des joueurs se disputent en l’air un ballon de volley. Le soleil, dans sa course vers l’ouest, se cache derrière les épais feuillages d’un neem. L’ombre a envahi presque toutes les tables. Une trentaine, au coup d’œil. Plus le soir tombe, plus l’ombre s’épaissit et devient obscurité.

« Saï Saï », la musique de Papa Wemba coule douce des enceintes.

« Na Bruxelles, Référence ya Saki Sharufa, Ambiance à Gogo, Tout le Monde Saï Saï, Saï Saï, Saï Saï, on dirait Bonne Année. Tous les soirs, Saï Saï, Saï Saï, Saï Saï, On dirait Fêti eh. »

Le volume est raisonnable et les causeries n’exigent rien des cordes vocales. Tout autour de Bernice et moi, des éclats de voix en anglais.

  • Tu crois que si j’invite Aïda, elle va venir ?
  • Si c’est toi, pas sûr qu’elle vienne, laisse-moi faire.

Elle appelle sa copine. Depuis l’histoire d’Un charme d’écureuil, je n’ai vue aucune des deux. J’ai juste croisé Bernice ce soir devant la chaîne de télévision LCF.

  • Elle va venir, me dit-elle à la fin de la communication.
  • Ok !

Nous restons silencieux. Chacun vit dans son téléphone : elle navigue entre Imo et Whatsup. C’est fou comme ses doigts peuvent bouger. J’observe un moment l’agilité de ses doigts et l’image des fourmis bousculées dans leur tranquillité et qui se dispersent s’impose à moi. Je souris. Elle ne remarque même pas. Moi je reste plutôt dans mon boulot. Outlook ! Un mail de ma directrice me rappelle une échéance. Je m’énerve. Personne ne tient compte de la surcharge de travail, des voyages qui viennent bousculer les agendas.

  • Ecoute, Bernice, je m’amuse souvent à regarder des convives autour d’une table qui vivent chacun dans leur monde. Tu es dans ton téléphone, je suis dans le mien. J’imagine le spectacle que nous offrons aux autres.
  • J’arrive ! Dis, Noël, y a un mec qui veut que je fasse la promotion de sa boite. Je trouve un nom à sa boite, je conçois les affiches et les bâches, et tout, et tout. Il est dans la restauration.
  • C’est super ! Ça va te faire un peu de sous, maintenant que tu es carrément à la maison.
  • Il veut un rendez-vous. Chez moi !
  • Où est le problème ?
  • Il me fait la cour. C’est mec genre …, il ne sait pas combien il m’énerve dès qu’il aborde le sujet.
  • Et tu lui réponds quoi ?
  • Rien ! Si je lui dis non, il peut me retirer le marché et le confier à quelqu’un d’autre. Et je veux pas dire oui !
  • Alors dis-lui non.

Rémy nous rejoint. Un collègue de boulot. Il a une mine grave. Il fait cette mine quand une présence ne lui plaît pas. Il est toujours comme ça. Mais après une bière, les murs tombent et il devient loquace, rit à gorge déployée, excelle dans le récit d’anecdotes politiques.

Quelque temps après, Aïda arrive. Elle a une longue robe jusqu’aux pieds. Un voile couvre toute sa tête. Il n’y a que son visage qui se fait voir. Nous lui faisons la blague des femmes kamikazes de Boko Haram. Elle paraît agréablement surprise de me voir là. Feint-elle son enthousiasme ? Elle jette son sac, écarte ses bras. Je me lève de ma chaise. Nous nous embrassons.

  • Noël ! Qu’est-ce que tu fais ici ? Oh, mon Dieu, comme je suis contente de te revoir ! Bernice, tu m’as pas dit que tu étais avec Noël.

Elle s’écarte de moi. M’observe un moment. M’embrasse à nouveau.

J’ai comme un sentiment d’insatisfaction. Mes yeux ont dû perdre la propriété qui s’attachait à son charme, ou c’est le charme d’Aïda qui a migré vers le passé. Elle n’a plus sa fraîcheur. Cette joie de vivre. Cette insouciance. Je regarde un visage maigri et préoccupé. Buriné par les soucis. C’est un temple de tristesse, malgré le sourire qu’elle s’efforce de présenter.

  • Noël, tu m’as manqué ! Est-ce que tu chantes toujours des berceuses haoussas ?

Elle fait allusion à cette pièce de théâtre, Il est venu un fantôme. Je l’ai connue au cours de la  création de ce texte écrit en 2011.

  • Non, je taille des pipes que je vends aux Indiens !
  • Des pipes? très drôle !
  • Des conneries comme ça, s’emporte Rémy !
  • Noël, on se marie quand, me demande à brule-pourpoint Aïda ?
  • Demain matin, lui réponds-je, pince-sans-sourire.

 

 

 

Partagez

Commentaires