Un charme d’écureuil (Extrait IV)

5 décembre 2014

Un charme d’écureuil (Extrait IV)

Mat la reconnut tout de suite et fut désarçonné par le spectacle qu’il découvrit : recroquevillée entre le pot des waters et le mur, la tête sur les genoux, les deux bras voilant son visage, Ida pleurait chaudement. Il resta interdit un moment et lorsqu’il se retourna vers Bernice chercher quelque explication, celle-ci avait disparu, sur la pointe des pieds. Il sentit la colère l’envahir. Ainsi, Bernice l’avait entraîné dans un traquenard. Elles avaient convenu d’un piège à sexe. Le scénario se déroula perfidement dans son esprit : Ida aurait surgi de sa cachette. Cruel ! Qu’auraient-elles fait ? L’humilier ? Le violenter ? Les aurait-elle rejoints pour une partouze ? Très peu !

Mat la laissa à ses pleurs et retourna s’asseoir sur le lit, pensif. Il resta ainsi partagé entre s’en aller et rester. Les raisons d’une si sordide mise en scène le turlupinaient. Toutefois, il ne possédait pas la lucidité indispensable à l’analyse. Malgré l’évidence qu’elles l’avaient éprouvé, il continua de penser que le mobile se trouvait ailleurs.

Les sanglots peu à peu se turent. Au bout de quelques minutes Ida sortit de la douche. Elle fixait sous la lumière blanche silencieuse.

–   Pourquoi, demanda-t-il ?

–  Je suis à toi.

–  Tu n’es pas un trophée que je dois remporter. M’aimer n’est pas récompenser quelque mérite ou quelque vertu.

–  Désolée, dit-elle.

–  Ne sois pas désolée.

Elle vint s’étendre et s’endormit aussitôt. Il la regardait endormie, le souffle régulier, couchée en chien de fusil et toutes les questions continuaient de le bousculer. Il quitta la chambre sans faire du bruit.

Chez lui, il retrouva Blandine son épouse, au salon, les yeux scotchés à un film arabe. Il aperçut des cavaliers enturbannés avec de longues épées et des poignards recourbés se poursuivre entre monts et vallées. Il était une heure et vingt minutes. Elle se contenta de le détailler du regard sans broncher. Mat savait qu’une insidieuse inquiétude la grignotait, mais que stoïque ou calculatrice, elle ne lui dira rien, ne posera aucune question. Au réveil, elle le regardera de ses yeux blancs, inexpressive. Il prit une douche et alla se coucher avec le sentiment que quelque chose de neuf et de beau venait d’entrer dans sa vie. Une aurore, une belle aurore dissipait les épaisses couches de chagrin qui le minaient et son cœur émoustillé se préparait à s’abreuver de nectar et se régaler de monts d’ambroisie.

Les jours et les mois qui suivirent, ils s’aimèrent sans retenue, les chairs hissées, ainsi les voiles d’un navire, aux grands vents des plaisirs. Les weekends, ils faisaient des virées vers les villes voisines. Parfois ils y restaient dormir tout le weekend et lui ne rentrait que lundi matin, se changeait puis allait à son collège.

Il arrivait chez lui comme un étranger puis repartait aussitôt. Bien qu’il survînt aux services essentiels de la maison, sa présence commença à manquer aux enfants. Son fils aîné, en deuxième secondaire, lui demanda un matin ce qu’il restait faire dehors toutes les nuits. La question le bouleversa. Il promit qu’il lui répondrait une autre fois. Ce soir il rentra plus tôt, à minuit. Blandine le réveilla à 4 heures. Elle lui parla des notes de plus en plus minables des enfants à l’école. S’il pouvait avoir la décence de rentrer tôt les soirs, il les aiderait dans leurs exercices. Tous les hommes sortent. Je ne peux pas t’interdire de sortir. Pense au moins à ta famille. Nous existons aussi. Il ne la rabroua pas comme certaines fois où elle le réveillait à cette heure pour des mises au point sérieuses. Il répondit paisiblement qu’il traversait des zones de turbulences et qu’il en sera sorti très bientôt. Il lui demanda de prendre patience. Elle lui rappela pour clore le sujet qu’elle est femme et qu’il ne soit pas surpris en rentrant de ses turbulences, de ne pas la voir dans son lit. Pourvu que ton bientôt ne soit pas celui de Jésus-Christ.

Les jours suivants, il rentra vers 18 heures. Il aidait les enfants pour leurs devoirs de maison. Dès qu’ils allaient s’endormir, il leur souhaitait bonne nuit puis courait rejoindre Ida. Il prenait soin alors de renter avant leur réveil. Il ignorait que toutes les nuits, pendant qu’il chantait l’hymne à la chair avec Ida, Blandine pleurait seule dans leur lit. Elle ne se plaignit à personne. Elle buvait seule sa calice d’infortune jusqu’à la lie.

Il rentra un matin vers 5 heures et ne la trouva pas. Il alla réveiller l’aîné fulminant de rage. Le regard hébété du petit l’énerva davantage. Il appela Blandine sur son portable. Elle ne décrocha pas. Il reprit. En vain. La cinquième fois, elle s’excusa. Elle n’avait pas pris avec elle le téléphone en se rendant à la pharmacie. La nuit, Baymate leur puînée de deux ans, a eu une fièvre et elle l’a conduite à l’hôpital. Il s’effondra dans un fauteuil groggy. Il évita de penser que son enfant pouvait mourir la nuit pendant que lui farfouillait dans les chairs d’une fille. Il prépara les enfants et les conduisit à leur école respective avant de se rendre au centre hospitalier universitaire de Monkeyhills. Il esquiva le regard de Blandine, eut de la peine à prendre Baymate dans ses bras, qui, l’ayant vu, s’anima d’un « papa ! Papa ! Papa ! ». Ses yeux se mouillèrent de larmes. Sa gorge se noua et il pleura. Blandine le laissa s’essorer de ses larmes, heureuse qu’il comprenne et espérant qu’il quitte rapidement sa zone de turbulence.

La maladie de Baymate parut l’ébranler profondément. Il descendit de son nuage mais ne quitta pas sa zone de turbulence. Il rentrait tous les soirs et restait dormir. Les notes des enfants s’améliorèrent considérablement. Le visage de Blandine s’épanouit d’une tranquillité. Toutefois, il lui arrivait certaines nuits de sortir sur la pointe des pieds, simplement habillé comme pour faire cent pas dans le quartier mais de se rendre chez Ida sur un taxi-moto. La jalousie l’inspirait et il imaginait des scenarii impossibles où il voyait Ida soumise à la brutalité d’un goujat dans le lit qu’il lui a offert. Il s’irritait. Il ignorait ce qu’il ferait s’il la surprenait à le tromper. Non, Ida ne pouvait pas lui faire ça. Bien qu’il se rendît chez elle dans cette expectative, il redoutait d’y trouver un homme.

Ida tolérait qu’il reste dormir chez lui. Cependant, elle obtint qu’il lui accordât trois nuits sur les sept que compte une semaine. Il lui consacra les vendredis, les samedis et les dimanches. Blandine ne s’alarma pas. Un jour que tous les deux suivaient un feuilleton brésilien à la télévision, où, dans une séquence, un homme annonça à son épouse qu’il ne l’aimait plus, qu’il la quittait pour une autre, pour Angelica, Blandine lui demanda à brûle-pourpoint le nom de cette fille chez qui il passait les nuits. Confus, il demeura sans voix. Blandine insista : qu’est-ce qu’elle avait de spécial ? C’est une blanche ?

–  Il ne s’agit pas d’une fille, ce n’est pas ce que tu crois, bégaya-t-il, la gorge nouée.

–  Alors c’est un jeune homme ? Serais-tu devenu bisexuel ?

–  Qu’est-ce que tu vas chercher ?

–  J’invente si tu me caches tes activités nocturnes.

–  Laisse tomber. Donne-moi un peu de temps, c’est tout.

–  Un peu de temps, pourquoi ?

–  J’ai dit laisse tomber.

–  Pourquoi ne me quittes-tu pas pour elle ? Tu n’as pas le courage de me le dire, n’est-ce pas ? J’irai de mon côté faire ma vie avec un autre homme. Je suis encore désirable.

Il éluda la question et sortit.

Mat prit un congé de trois semaines. Ida en vacance, n’avait pas rejoint ses parents à Bédila. Il déposait les enfants à leur école et passait les matinées et les après-midi chez elle. On le vit plus souvent à table au déjeuner et au dîner. Les trois semaines s’écoulèrent et il dut reprendre à regret son service.

La fête de l’Aïd-el-kébir arrivait dans une semaine. Ida partit la veille de la fête rejoindre ses parents revenus à Chairville, leur land natal. Tous les ans, cette fête rassemblait toute la famille. Ida sera rentrée dans trois jours, au lendemain de la fête.

L’Aïd-el-kébir se célébrait un dimanche. Il se rendit dans l’après-midi à l’hôtel Sheraton où un ami El-Hadji l’a invité. Blandine et les enfants le regardèrent partir, les enfants fiers d’avoir un père élégant, l’épouse encore ravie des sensations de la nuit enflammée du samedi, sensations qu’elle n’avait plus connues depuis plusieurs années.

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